Conclusion de la Russie

Audience du 15 octobre 2013 RG : 12/15781

A Mesdames et Messieurs les Président et Juges composant la 1ère chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris __________________________________________

CONCLUSIONS POUR: La Fédération de Russie

Ayant pour Avocat :

Cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP

Avocats au Barreau de Paris

12, rue de Tilsitt - 75008 PARIS

Plaidant par Maîtres Jean-Yves Garaud et Delphine Michot

CONTRE :

DEFENDERESSE

J 21

1. L’Association Fédérative Internationale des Porteurs d’Emprunts Russes (AFIPER)

  1. Monsieur Frédéric Arnault

  2. Madame Mauricette Cornaire

  3. Monsieur Hervé Fanara-Ebel

  4. Monsieur Michel Grosset

  5. Madame Christiane Jacob

  6. Monsieur Christophe Magnino

  7. Monsieur Jean-Yves Martin

  8. Monsieur Patrick Nègre

10. Monsieur Louis-Noël Pernot 11. Monsieur Eric Sanitas

Ayant pour Avocat :

Maître Jacques-Alexandre Genet Avocat au Barreau de Paris

SELAS Genet Colboc Goubault

92, rue Jouffroy d’Abbans - 75017 Paris Tel : 33 (0)1 40 54 51 00

DEMANDEURS

P0122


EN PRESENCE DE : Monsieur le Procureur de la République

Table des matières

  1. FAITS..................................................................................................................................... 4

    • Contexte historique de la souscription en France d’emprunts émis ou garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie...................................................................... 4

    • Les accords bilatéraux réglant définitivement les revendications relatives aux Emprunts Russes............................................................................................................ 4

    • Les porteurs d’Emprunts Russes ont déjà été déclarés irrecevables à agir devant les juridictions françaises au début des années 2000 .................................................. 6

  2. PROCÉDURE ....................................................................................................................... 7

III. DISCUSSION........................................................................................................................8

  • L’assignation des Demandeurs est nulle en raison du défaut de pouvoir de l’AFIPER pour agir au nom et pour le compte des autres demandeurs .................. 8

  • Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables ................ 8

    • 1) La Fédération de Russie bénéficie de l’immunité de juridiction .............................. 8

      • 1.1 L’Empire de Russie bénéficiait d’une immunité de juridiction absolue lors de l’émission des Deux Emprunts .......................................................................... 9

      • 1.2 En tout état de cause, la Fédération de Russie bénéficie de l’immunité de juridiction à raison des emprunts émis et garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie.............................................................................................9 a. Exercice de prérogatives de puissance publique......................................... 9 b. But d’intérêt public ................................................................................... 11

    • 2) Les Demandeurs n’ont pas intérêt à agir dans la présente instance ........................ 15

    • 3) Le Traité prive les Demandeurs de toute action contre la Fédération de Russie....15
      3.1 Seul le Gouvernement de la République française est responsable au titre des Emprunts Russes à l’égard des porteurs français............................................. 16
      3.2 LeTraitéaéteinttoutecréancedesporteursd’EmpruntsRusses...................17

    • 4) Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables du fait de la prescription des titres .......................................................................................... 18

  • A titre infiniment subsidiaire, les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont mal fondées ..................................................................................... 18

    • 1) A titre liminaire, le droit russe est applicable aux Deux Emprunts et à la Garantie18

    • 2) Les droits des Demandeurs n’existent plus depuis le décret soviétique du 21 janvier 1918 annulant les Emprunts Russes........................................................................ 19

    • 3) La Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie pour l’émission du 4,5% Nord-Donetz 1908 a expiré..................................................................................... 20

    • 4) Les Demandeurs ne rapportent pas la preuve du montant de leurs créances alléguées.................................................................................................................. 20

2

PLAISE AU TRIBUNAL

Les demandeurs se prétendent propriétaires, chacun, de deux emprunts émis ou garantis par l’Empire de Russie en 1906 et 1908 et annulés par l’Etat soviétique en 1918. C’est au titre de ces « emprunts russes » qu’ils saisissent aujourd’hui votre Tribunal et entendent obtenir la condamnation de la Fédération de Russie à leur payer une somme supérieure à 33.000 euros pour chacun des emprunts d’une valeur de 187 roubles et 50 kopecs de l’époque (ou 500 anciens Francs).

Votre Tribunal a pourtant déjà été saisi de telles demandes dans le cadre d’un contentieux initié par l’AFPER en 2002, contentieux dans lequel les demandeurs avaient tous été déboutés. L’AFPER était alors représentée par Monsieur Pierre de Pontbriand, aujourd’hui Président d’honneur de l’AFIPER, demanderesse à la présente instance.

Les demandes de l’AFIPER et des dix autres demandeurs sont manifestement irrecevables et mal fondées, ainsi qu’il va être démontré :

  • L’assignation des Demandeurs du 9 octobre 2012 est nulle en raison du défaut de pouvoir de l’AFIPER d’agir au nom et pour le compte des dix autres demandeurs personnes physiques (A.) ;

  • Les Demandeurs sont irrecevables à agir dans la présente instance en raison de l’immunité de juridiction dont bénéficie la Fédération de Russie et du défaut d’intérêt à agir des Demandeurs qui ne justifient pas de la propriété des titres dont ils se prévalent. En outre, le Mémorandum d’accord du 26 novembre 1996 et l’Accord du 27 mai 1997 conclus entre la Fédération de Russie et la République française privent les Demandeurs de toute action contre la Fédération de Russie, cet Etat n’étant en tout état de cause pas débiteur des dettes du Gouvernement de l’Empire Russe. Enfin, en vertu du droit russe applicable aux titres en cause et à la garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie, leurs demandes sont prescrites (B.) ;

  • Les demandes de l’AFIPER et des dix autres demandeurs sont en tout état de cause mal fondées d’une part, parce que les droits dont se prévalent les Demandeurs sont inexistants, d’autre part, parce que la garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie pour les emprunts émis par les compagnies de chemin de fer russes a expiré et enfin, en ce que les Demandeurs n’apportent pas la preuve de la valeur des titres dont ils se prévalent (C.).

3

I. FAITS

A. Contexte historique de la souscription en France d’emprunts émis ou garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie

A partir de la fin du 19ème siècle, le Tsar Alexandre III, malgré un budget déficitaire et de premiers troubles sociaux, a souhaité moderniser l’Empire de Russie. Un vaste plan industriel a donc vu le jour, qui nécessitait l’apport de capitaux étrangers. Dans ce cadre, des emprunts ont été émis par le Gouvernement de l’Empire Russe sur plusieurs places financières européennes, notamment à Londres, Bruxelles, Amsterdam et Paris.

S’agissant des emprunts émis en France, 18 emprunts d’Etat émis par le Gouvernement de l’Empire de Russie étaient cotés à la Bourse de Paris à la veille de la Première Guerre mondiale, ainsi que 6 emprunts de collectivités publiques russes (les «Emprunts d’Etat »). Outre ces Emprunts d’Etat, 32 emprunts émis par des compagnies de chemins de fer russes (les « Emprunts de Chemin de Fer ») (collectivement, les « Emprunts Russes ») figuraient sur la liste des titres inscrits à la Bourse de Paris à cette époque, dont certains bénéficiaient de la garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie.

A la suite de la Révolution russe de 1917, le Comité exécutif central du gouvernement du nouvel Etat soviétique a, par décret du 21 janvier 1918, annulé tous les emprunts souscrits par des porteurs étrangers et émis ou garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie, à compter du mois de décembre 1917. (Pièce n° 1)

Pour le 1er trimestre 1918, le Gouvernement français a procédé lui-même au paiement des coupons des Emprunts Russes souscrits par les épargnants français, à la suite de quoi aucun remboursement n’a plus été effectué.

En octobre 1924, la France a reconnu l’URSS. Des négociations diplomatiques ont été engagées dès 1925, entre l’URSS et la France, afin de mettre un terme au contentieux relatif aux dettes russes à l’égard des créanciers français. Ces négociations n’ont pas abouti, notamment en raison des conséquences de la Seconde Guerre mondiale sur les relations internationales.

B. Les accords bilatéraux réglant définitivement les revendications relatives aux Emprunts Russes

A la suite de la dissolution de l’URSS au mois de décembre 1991, la France et la Fédération de Russie ont conclu, le 7 février 1992, un « Traité entre la France et la Russie ».

Aux termes de l’article 22 de cet accord, la République française et la Fédération de Russie se sont engagées à s’entendre, si possible dans des délais rapides, sur le règlement des contentieux soulevés par chaque partie relatifs aux aspects financiers et matériels des biens et intérêts des personnes physiques et morales des deux pays.

Le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement français ont poursuivi des négociations dans le but de régler définitivement, notamment, le contentieux relatif aux Emprunts Russes.

En novembre 1996, le Ministre de l’Economie et des Finances et le Ministre des Affaires Etrangères français ont reçu les représentants des porteurs d’Emprunts Russes et leur ont fait part de l’intention du Gouvernement français de régler cette question de manière définitive.

Un traité a donc été conclu, le 26 novembre 1996, entre le Gouvernement français et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif « au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945 » sous forme de mémorandum d’accord et qui concerne en particulier les créances des porteurs français d’Emprunts Russes (ci-après, le « Mémorandum d’Accord »). (Pièce n° 2)

Celui-ci dispose que le Gouvernement de la Fédération de Russie paiera au Gouvernement de la République française une somme d’un montant de 400 millions de dollars américains en règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945 ainsi que les créances des ressortissants de chaque Etat à l’égard de l’autre Etat partie.

En vertu de ce Mémorandum d’Accord :

« Les parties française et russe, en leur propre nom, ou au nom de personnes physiques ou morales, russes et françaises respectivement, ne présenteront pas l’une à l’autre ni ne soutiendront d’aucune manière les créances financières ou réelles, quelles qu’elles soient, apparues antérieurement au 9 mai 1945.

Toutes ces créances seront réputées avoir été réglées définitivement et intégralement par le versement de la totalité de la somme mentionnée dans le présent Mémorandum ».

Le Mémorandum d’Accord a été complété, le 27 mai 1997, par un « Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945 » (ci-après « l’Accord du 27 mai 1997 »). (Pièce n° 3)

Cet Accord du 27 mai 1997 prévoit également que « La Partie française, en son nom ou au nom de personnes physiques et morales françaises, ne présente pas à la Partie russe ni ne soutient d’une autre manière les créances financières et réelles, quelles qu’elles soient, apparues antérieurement au 9 mai 1945 ».

Sont spécifiquement comprises dans le champ d’application du Traité :

« A- Les revendications relatives à tous emprunts et obligations émis ou garantis avant le 7 novembre 1917 par le Gouvernement de l’Empire de Russie ou par des autorités qui administraient une partie quelconque de l’Empire de Russie, et appartenant au Gouvernement de la République française ou à des personnes physiques ou morales françaises (...) ».

L’article 4 de l’Accord du 27 mai 1997 dispose que la somme de 400 millions de dollars viendra en règlement définitif des créances réciproques entre les deux Etats visées dans l’acte. Ce montant constitue le solde global et forfaitaire d’un compte de créances réciproques entre les deux Etats :

« Les créances mentionnées aux articles 1er et 2 du présent Accord, qui constituent l’ensemble des créances financières et réelles réciproques apparues antérieurement au 9 mai 1945, sont réputées avoir été réglées complètement et définitivement par le versement de la somme mentionnée à l’article 3 du présent Accord ». (Pièce n° 3)

5

Le Gouvernement français s’est en outre engagé à assumer la responsabilité exclusive du règlement et de la répartition des 400 millions de dollars entre ses ressortissants1.

L’approbation du traité constitué du Mémorandum d’Accord et de l’Accord du 27 mai 1997 (ensemble, le « Traité ») a été autorisée par la loi n° 97-1160 du 19 décembre 1997 et publiée au Journal Officiel par le décret n° 98-366 du 6 mai 1998. (Pièces n° 4 et 5)

Une commission de suivi du Mémorandum d’Accord a été créée dès février 1997 avec pour mission, notamment, de proposer au Gouvernement français les modalités de recensement des porteurs d’Emprunts Russes émis en France avant 1917 ainsi que des méthodes d’évaluation et d’indemnisation (la « Commission de Suivi »).

Les opérations de recensement des ressortissants français porteurs d’Emprunts Russes ont été instituées par l’article 73 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998. Les conditions de ce recensement ont été précisées par décret n° 98-552 du 3 juillet 1998. (Pièces n° 6 et 7)

Le 26 novembre 1999, la Commission de Suivi a remis au Ministre de l’Economie et des Finances un rapport portant, notamment, sur les résultats du recensement des porteurs d’Emprunts Russes et sur les modalités d’évaluation desdits Emprunts.

L’article 48 de la loi de finances rectificative pour 1999 du 30 décembre 1999, complété par le décret n° 2000-777 du 23 août 2000, a précisé les conditions de répartition des droits à indemnisation résultant du Traité. (Pièces n° 8 et 9)

Le 1er août 2000, la Fédération de Russie a achevé de verser les 400 millions de dollars prévus par le Traité.

Le versement des indemnités allouées au titre du Traité aux titulaires de créances antérieures au 9 mai 1945, comprenant principalement les porteurs d’Emprunts Russes, a été autorisé par le décret n° 2000-1091 du 9 novembre 2000. (Pièce n° 10)

C. Les porteurs d’Emprunts Russes ont déjà été déclarés irrecevables à agir devant les juridictions françaises au début des années 2000

En dépit de la conclusion du Traité et du règlement définitif des Emprunts Russes qui en a résulté, certains porteurs d’Emprunts Russes ont cru pouvoir initier des actions judiciaires afin de solliciter directement à l’encontre de la Fédération de Russie d’autres paiements.

Ainsi, l’Association Française des Porteurs d’Emprunts Russe (AFPER) et 565 de ses membres ont assigné le Gouvernement de la Fédération de Russie devant le Tribunal de grande instance de Paris en mai 2002 (Pièce n° 11). Dans cette affaire, les demandeurs sollicitaient du Tribunal qu’il condamne le Gouvernement de la Fédération de Russie au paiement de la somme d’environ 338 millions d’euros, en sa qualité de garant de 51.297 emprunts émis par les compagnies de chemin de fer russes. Le 22 juillet 2002, un porteur d’Emprunts Russes, Monsieur de Dreux-Brèze, avait également assigné le Gouvernement de la Fédération de Russie devant votre Tribunal. (Pièce n° 12)

Il est particulièrement révélateur de constater que le Président de l’AFPER, Monsieur Pierre de Pontbriand, est aujourd’hui Président d’honneur de l’AFIPER,

1

Article 3, alinéa 2, de l’Accord du 27 mai 1997.

6

demanderesse à la présente instance, dont l’action s’inscrit - ainsi qu’elle le revendique - « dans la ligne de celle menée pendant de nombreuses années par l ́AFPER ». (Pièce n° 13). L’un des Demandeurs dans la présente instance était d’ailleurs déjà partie à l’instance initiée par l’AFPER.

En outre, parmi les différents emprunts produits par l’AFPER et ses membres ainsi que par Monsieur de Dreux-Brèze au soutien de leurs demandes respectives, figuraient notamment les emprunts de la compagnie de chemin de fer russe du Nord-Donetz émis en 1908 et 1914, également produits par les Demandeurs dans la présente instance. (Pièces n° 11 et 12)

La concluante s’interroge dès lors sur les motivations réelles et sur la bonne foi de l’AFIPER qui n’est manifestement qu’une émanation de l’AFPER, et qui se garde bien d’informer votre Tribunal des décisions judiciaires déjà intervenues sur le sujet objet de la présente instance.

En effet, par deux jugements du 3 décembre 2003, votre Tribunal a débouté l’ensemble de ces demandeurs, et a déclaré l’AFPER et ses 565 requérants d’une part, et Monsieur de Dreux-Brèze d’autre part, irrecevables en raison de l’immunité de juridiction dont bénéficie le Gouvernement de la Fédération de Russie au titre des Emprunts Russes. Le Tribunal a en effet constaté qu’étaient en cause des actes de puissance publique et que par conséquent, les demandeurs étaient irrecevables à agir à l’encontre du Gouvernement de la Fédération de Russie en raison de l’immunité de juridiction dont il bénéficiait. (Pièces n° 14 et 15).

La Cour d’appel de Paris, saisie par Monsieur de Dreux-Brèze, a confirmé ce jugement précité par un arrêt du 8 juin 2005. (Pièce n° 16) Ces décisions sont aujourd’hui passées en force de chose jugée.

II. PROCÉDURE

Malgré le Traité et les décisions judiciaires déjà intervenues, la Fédération de Russie s’est vue signifier une nouvelle assignation.

Les demandeurs à la présente instance, l’AFIPER et dix autres demandeurs personnes physiques (collectivement, les « Demandeurs ») sollicitent le paiement de sommes prétendument dues au titre des Emprunts Russes suivants :

  • - d’une part, l’emprunt d’Etat à 5% or, obligation de 187 roubles 50 kopeks - 1906 (le « 5% 1906 ») et ;

  • - d’autre part, l’emprunt émis par la Compagnie de chemin de fer du Nord- Donetz, emprunt-obligations à 41/2 %, obligation de 187,5 roubles – 1908 qui bénéficierait de la garantie de l’Empire de Russie (la « Garantie ») (le « 4.5% Nord-Donetz 1908 ») (ensemble, les « Deux Emprunts »).
    Ainsi, par acte introductif d’instance remis à Parquet le 9 octobre 2012, les Demandeurs ont demandé au Tribunal de condamner la Fédération de Russie au paiement à chacun d’entre eux de la contre-valeur en euro des montants prétendument dus au titre des Deux Emprunts, soit 35.890 euros par obligation pour le 5% 1906 et 33.031 euros par obligation pour le 4.5% Nord-Donetz 1908.

7

Outre qu’elles sont particulièrement surprenantes au vu du contexte rappelé ci- dessus, ces demandes sont manifestement irrecevables et mal fondées.

III. DISCUSSION

Le Tribunal constatera que l’assignation des Demandeurs du 9 octobre 2012 est nulle en raison du défaut de pouvoir de l’AFIPER d’agir au nom et pour le compte des dix autres demandeurs personnes physiques (A.).

A titre subsidiaire, le Tribunal déclarera les Demandeurs irrecevables à agir dans la présente instance (B.).

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire le Tribunal considérait que l’assignation du 9 octobre 2012 des Demandeurs était valable et leur action recevable, il rejettera leurs demandes comme étant mal fondées (C.).

A. L’assignation des Demandeurs est nulle en raison du défaut de pouvoir de l’AFIPER pour agir au nom et pour le compte des autres demandeurs

En vertu de l’article 117 du Code de procédure civile, le défaut de pouvoir d'une personne assurant la représentation d’une partie en justice constitue un vice de fond sanctionné par la nullité de l’acte.

En tête de l’acte introductif de la présente instance, les 10 demandeurs personnes physiques sont décrits comme étant «représenté[s] par l’AFIPER, chez qui il[s] éli[sent] domicile ». Or, l’AFIPER est une association régie par la loi du 1er juillet 1901 qui ne justifie en rien de la possibilité d’ester valablement en justice pour le compte de tiers.

Conformément au principe «nul ne plaide par procureur», l’assignation du 9 octobre 2012 sera ainsi déclarée nulle à l’égard des 10 personnes physiques identifiées en tête de l’acte.

B. Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables

Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont en outre irrecevables en raison de l’immunité de juridiction dont bénéficie la Fédération de Russie (1.), du défaut d’intérêt à agir des Demandeurs dans la présente instance (2.), parce que le Traité prive les Demandeurs de toute action contre la Fédération de Russie (3.), et en raison de la prescription des titres, le droit russe étant applicable aux Deux Emprunts et à la Garantie (4.).

1) La Fédération de Russie bénéficie de l’immunité de juridiction

Lors de l’émission des Emprunts Russes, l’Empire de Russie bénéficiait d’une immunité de juridiction absolue (1.1). En tout état de cause, les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables du fait de l’immunité de juridiction dont bénéficierait, même aujourd’hui, la Fédération de Russie à raison des Emprunts Russes émis et garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie (1.2).

8

1.1 L’Empire de Russie bénéficiait d’une immunité de juridiction absolue lors de l’émission des Deux Emprunts

A l’époque où le 4.5% Nord-Donetz 1908 et le 5% 1906 ont été émis, tout Etat souverain bénéficiait d’une immunité de juridiction absolue en application du droit positif français, les tribunaux se déclarant absolument incompétents à l’égard des Etats étrangers, quel que soit le caractère des actes effectués par ces derniers2.

Cette jurisprudence a été constante en France jusqu’à un arrêt de la Cour de cassation du 19 février 1929, qui a distingué pour la première fois les actes d’autorité accomplis jure imperii qui manifestent la souveraineté de l’Etat étranger (actes de puissance publique) des actes de gestion de l’Etat qui ne diffèrent pas substantiellement de ceux accomplis par de simples particuliers3.

Les Deux Emprunts sur lesquels les Demandeurs prétendent fonder leur action ont été émis avant 1929. L’Empire de Russie bénéficiait donc, lors de l’émission desdits Emprunts, d’une immunité absolue de juridiction et n’y avait pas renoncé.

Les souscripteurs ont accepté les risques inhérents auxdits Emprunts, en ayant conscience qu’ils ne pourraient pas rechercher devant les juridictions françaises la responsabilité de l’Empire de Russie en sa qualité d’émetteur ou au titre de sa garantie.

Les Demandeurs ne sauraient exercer un droit d’action qui n’était pas reconnu aux porteurs des titres devant les juridictions françaises à l’époque où les Deux Emprunts ont été souscrits et doivent être déclarés irrecevables à agir.

1.2 En tout état de cause, la Fédération de Russie bénéficie de l’immunité de juridiction à raison des emprunts émis et garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie

Il résulte de la jurisprudence que l’immunité de juridiction doit être reconnue à un Etat étranger non seulement pour les actes de puissance publique constituant un exercice par l’Etat de sa souveraineté, mais aussi pour ceux accomplis dans l’intérêt d’un service public4.

Il est généralement considéré que la qualification de l’acte litigieux doit être déterminée par référence à la loi du for5.

a. Exercice de prérogatives de puissance publique

L’acte est notamment de puissance publique lorsqu’il contient une clause exorbitante du droit commun6. Est qualifiée d’exorbitante la clause qui comporte des obligations

2 Paris, 30 avril 1912 in DP 1913.2.201 ; Tribunal civil de la Seine, 1er avril 1925 in JDI 1925.702 ; Cass. 22

janvier 1849, cité in Grands arrêts dr. int. pr., Dalloz 2001, n° 47.

3

Cass. Req. 19 février 1929 in DP 1929, p 73 et s., note Savatier.

  • 4 Civ. 1ère, 2 mai 1990 in RCDIP 1991.140 ; Mayer, Droit international privé, Montchrestien, 9ème éd., n°325.

  • 5 Cass. Civ. 2 mars 1966 in JCP 1966 II 14831; Loussouarn, obs. RTD Com. 1973.676.

  • 6 Mayer, Droit international privé, Montchrestien, 9ème éd., n°325. P. Bourel, J-Cl. Droit international privé, Fasc.
    581-50, n°71. Civ. 1re, 8 déc. 1964, Entreprise Pérignon et a. c/ États-Unis d’Amérique. Civ. 1re, 2 mars 1966, Sté Transshipping c/ État du Pakistan, JCP 1966. II. 14831, 2e esp., note M. Ancel.

9

qui ne sont pas susceptibles d’être librement consenties dans le cadre des lois civiles et commerciales 7.

En l’espèce, le Gouvernement de l’Empire de Russie, en émettant le 5% 1906, Emprunt d’Etat, et garantissant la souscription du 4.5% Nord-Donetz 1908, Emprunt de Chemin de Fer russe, a accompli un acte de puissance publique.

En premier lieu, les Deux Emprunts et la Garantie contiennent des clauses d’exemption fiscale.

Ainsi, l’Emprunt d’Etat 5% 1906, contient une clause aux termes de laquelle « Les obligations de cet emprunt et leurs coupons sont exempts à tout jamais de tout impôt russe ». (Pièces adverses n° 2 à 12)

Le 4,5% Nord-Donetz 1908 comporte une clause d’exemption fiscale identique :

«le paiement des coupons et le remboursement des titres sortis au tirage s’effectueront à tout jamais libres de tous impôts russes présents ou à venir » (Pièces adverses n° 13 à 23)

suivante :

En deuxième lieu, l’Emprunt d’Etat 5% 1906 comporte la clause exorbitante

« Les titres non encore sortis au tirage seront admis comme cautionnement dans les contrats de fourniture avec l'État et en garantie de droits de douane et d'accise à acquitter, et ce à des prix à fixer par le Ministre des Finances [Russe]. Les coupons échus ainsi que les titres sortis aux tirages seront acceptés au pair en paiement des droits de douane »8 (Pièces adverses n° 2 à 12)

De telles clauses, qui lient les autorités de l’Etat en sa qualité d’émetteur et de garant, ne sont évidemment pas susceptibles d’être librement consenties dans le cadre des lois civiles et commerciales9.

S’agissant des clauses d’exemption fiscale, elle portent en effet sur une prérogative régalienne, à savoir le pouvoir de lever des impôts. Nul n’est susceptible, hors l’Etat, d’accorder une exonération, non seulement des impôts existants, mais également des impôts et taxes qui pourraient être instaurés à l’avenir et ce, « à tout jamais ».

Il en va de même s’agissant de la clause permettant aux titres non encore amortis d’être donnés en garantie du paiement des droits de douanes.

Le 5% 1906, d’une part, et le 4,5% Nord-Donetz 1908 ainsi que la Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie d’autre part, sont donc assortis de clauses exorbitantes de droit commun, qui révèlent la « marque indiscutable de la souveraineté étrangère »10.

C’est très exactement ce qu’a déjà jugé votre Tribunal dans son jugement du 3 décembre 2003 rendu dans le cadre de l’action initiée par l’AFPER :


7

Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, LGDJ 2001, n°1420 ; CE, 15 février 1935 in Rec. Lebon p 201 ;

  • 8 Trib. Conf., 20 avril 1959 in Rec. Lebon p 866.

  • 9 L’amortissement des obligations issues des Deux Emprunts s’effectuait en effet par voie de tirage au sort.

  • 10 Tribunal des conflits, 2 juillet 1962, cons. Cazautets, p. 823, RDP 1962, p. 1203.
    P. Lagarde, Rev. crit. DIP 1962. 329, note sous arrêt. 10

«Que la clause d’exemption fiscale dont est ainsi assortie la garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie est bien exorbitante du droit commun et caractérise un acte de puissance publique, autorisant le Gouvernement de la Fédération de Russie à se prévaloir de la fin de non-recevoir tirée de l’immunité de juridiction ; Attendu que pour ce seul motif, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les moyens présentés à titre subsidiaire par l’Etat défendeur, ni même de vérifier si, au regard du droit français – loi du for -, la garantie accordée par le Gouvernement de l’Empire de Russie aux emprunts de chemins de fer l’avait été dans l’intérêt du service public, la demande de l’Association française de porteurs d’emprunts russes doit être déclarée irrecevable ». (Pièce n° 14)

La Cour d’appel de Paris a confirmé cette analyse dans le cadre de l’affaire de Dreux Brèze c/ Gouvernement de la Fédération de Russie. (Pièces n° 15 et 16)

b. But d’intérêt public

(i) Le 5% 1906

L’immunité de juridiction trouve à s’appliquer en présence d’actes de caractère administratif tels que des marchés de fournitures ou de travaux, des actes de nationalisation ou de réquisition, l’exécution de traités internationaux11.

S’agissant des Emprunts d’Etat, ils constituent les ressources de l’Etat et un moyen de financement des services publics. Leur émission peut donc se rattacher à l’exercice de prérogatives liées à la souveraineté de l’Etat étranger12.

La jurisprudence a ainsi considéré que l’Etat étranger bénéficie de l’immunité de juridiction au titre des emprunts souverains émis en France13. La Cour d’appel d’Aix en Provence a eu l’occasion de préciser que :

« [i]l est admis que les emprunts nationaux émis en France, par un gouvernement étranger, étant des actes politiques, des actes de souveraineté, les souscripteurs ne peuvent actionner en responsabilité devant les tribunaux français (...) le chef de ce gouvernement (...). Attendu que tel est bien le cas de l’emprunt de 1904, qui fait l’objet du litige, cet emprunt ayant été contracté par le sultan du Maroc pour faire face aux nécessités publiques et au fonctionnement de l’ensemble de ses services publics, et par conséquent, en vertu de son pouvoir politique et dans l’exercice de sa fonction gouvernementale »14.

Il ne pourrait en être autrement en l’espèce compte-tenu du but poursuivi par le Gouvernement de l’Empire de Russie lors de l’émission du 5% 1906.

  • 11 Recueil Dalloz 2006 p. 606, « L’actualité de l’immunité de juridiction des Etats étrangers », Régis de Gouttes, Premier avocat général à la Cour de cassation. P. Bourel, J-Cl. Droit international privé, Fasc. 581-50, n°110 ; Cour d’appel de Paris, 11 décembre 1962 JDI 1963, 780, note Sialelli ; Cass. Civ. 1, 5 octobre 1965, JCP G

  • 12 1996, II, 14837, note Ancel.

  • 13 P. Bourel, J-Cl. Droit international privé, Fasc. 581-50, n°101.
    Cour d’appel d’Aix, 30 décembre 1929, S. 1930.2.153, note L. Rivière; Cour d’appel de Paris, 31 oct. 1956,
    Montefiore c/ Congo belge, Gaz. Pal. 1956. 2. 414, concl. Lindon. L’arrêt fut cassé uniquement en raison de la

  • 14 qualité du défendeur (Civ. 1re, 21 nov. 1961, Rev. crit. DIP 1962. 329, note P. Lagarde).
    Cour d’appel d’Aix, 30 décembre 1929, S. 1930.2.153, note L. Rivière. 11

En effet, il résulte du contexte politique et militaire de l’époque que l’Emprunt d’Etat émis en 1906, dont les titres étaient « inscrit[s] au Grand Livre de la Dette publique » (Pièces adverses n° 2 à 12), a été utilisé à des fins d’intérêt public :

En premier lieu, l’emprunt 5% 1906 a été émis peu de temps après la fin de la guerre russo-japonaise qui s’est déroulée de février 1904 à septembre 1905, conflit dont l’objet était le contrôle de la région de la Mandchourie et de la Corée.

L’ouverture du conflit russo-japonais s’est accompagnée d’une chute très significative et sans précédent de toutes les valeurs russes cotées à Saint-Pétersbourg et à Paris. L’accès à l’épargne étrangère, et notamment française15, était donc capitale pour le Gouvernement de l’Empire de Russie, afin de financer cette guerre coûteuse :

« Si on totalise les prélèvements faits ou à faire sur l’encaisse-or de la Banque [d’Etat], on arrive à un excédent en or de 7 millions de roubles seulement. Dans ces conditions, comment pouvoir financer un effort de guerre qui, selon les estimations du ministre des Finances russe, demandera 1 200 000 000 de roubles pour dix-huit mois de conflit ? (...) le placement difficile d’un placement intérieur en 1903 a laissé de sérieuses inquiétudes au gouvernement russe (...). Au minimum les deux tiers du financement guerrier doivent provenir des créanciers étrangers »16.

En deuxième lieu, la révolution russe a éclaté en janvier 1905. À Saint- Pétersbourg et à Moscou se sont constitués les premiers conseils de députés ouvriers, les soviets, qui tentaient d’organiser un contre-pouvoir politique. Il était donc vital pour le Gouvernement tsariste de l’époque se renforcer sur son territoire afin de lutter contre la mobilisation des masses urbaines et rurales et éviter ainsi la disparition du régime.

A la fin de l’année 1905, le Premier Ministre russe Serge Witte a décidé de faire appel une fois de plus au marché financier français. Ce nouvel emprunt d’envergure devait en effet permettre d’« épurer tout le passif des dettes flottantes liées à la guerre »17. L’emprunt 5% 1906 est le dernier emprunt ayant été émis dans le but de couvrir les dépenses de la guerre russo-japonaise précitée.18

L’utilisation par le régime tsariste russe du produit du 5% 1906 à des fins politiques et militaires a d’ailleurs été vivement contestée en France par l’opinion de gauche. Monsieur Georges Clémenceau a ainsi écrit dans L’Aurore le 30 janvier 1906 :

« (...) on lui a payé sa guerre en Mandchourie (...) Il nous reste à lui assurer sa victoire sur ses propres sujets. C’est ce que nous nous sommes attaches scrupuleusement à faire jusqu’à ce jour. »19

Ainsi, il n’est pas contestable que le produit du 5% 1906 ait poursuivi un but d’intérêt public, en étant affecté au paiement des dettes militaires de l’Empire de Russie

  • 15 C’était le marché français qui, depuis 1888, absorbait la majeure partie des emprunts russes (les quatre cinquièmes environ) et une part importante (un tiers environ) des émissions de valeurs industrielles. Cf. Pierre Renouvin, Finance et politique : l’emprunt russe d’avril 1906 en France, in Etudes suisses d’Histoire générale,

  • 16 vol. 18-19, 1960-1961. (Pièce n° 17)
    René Girault, Emprunts russes et investissements français en Russie 1887-1914, éd. Histoire Economique et

  • 17 Financière de la France – Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 1999, p. 401 (Pièce n°18) René Girault, Emprunts russes et investissements français en Russie 1887-1914, éd. Histoire Economique et

  • 18 Financière de la France – Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 1999, p. 439 (Pièce n°18)

  • 19 Prof. P.P. Migouline/ Le Credit Public en Russie. Volume III, 1907, page 1187 (Pièce n° 19)
    Cité dans Wladimir Berelowitchla, Révolution de 1905 dans l’opinion républicaine française, in Cahier du monde russe 2007, Vol. 48, p. 384 (Pièce n° 20)

12

résultant de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. L’émission du 5% 1906 participait donc à l’exercice par l’Empire de Russie de sa souveraineté.

(ii) Le 4,5% Nord-Donetz 1908

Le transport ferroviaire, sous le contrôle du Gouvernement de l’Empire de Russie, a joué un rôle primordial dans l’aménagement du territoire russe.

L’Empire tsariste voyait notamment dans le chemin de fer un moyen unique de renforcer sa situation militaire, nombre de lignes construites ayant un intérêt stratégique. A cet égard, les historiens confirment que « les emprunts publics, ceux des chemins de fer ou des municipalités ont un aspect quasi-politique et national (...) »20.

Pour l’Empire de Russie, il s’agissait de construire un réseau de chemin de fer comparable à celui de l’Europe de l’ouest21. A la fin du 19ème siècle, le Ministre de la guerre russe de l’époque a ainsi indiqué au Tsar Alexandre III que :

« les chemins de fer sont aujourd’hui l’élément le plus fort et le plus décisif de la guerre. Par conséquent, indépendamment même de difficultés financières, il est excessivement souhaitable de rendre notre réseau ferroviaire équivalent à celui de nos ennemis »22.

Il était en outre convenu avec le Gouvernement français que les lignes de chemin de fer à construire comportent un certain nombre de liaisons jugées indispensables pour une rapide mobilisation et concentration des forces militaires russes en cas de conflit avec l’Allemagne23.

Une convention militaire avait en effet été signée entre les deux Etats dès le mois d’août 1892, en vertu de laquelle « si la France est attaquée par l’Allemagne ou par l’Italie soutenue par l’Allemagne, la Russie emploiera toutes ses forces pour combattre l’Allemagne (...) la France et la Russie, à la première annonce de l’évènement, et sans qu’il soit besoin d’un concert préalable, mobiliseront immédiatement et simultanément la totalité de leurs forces et les porteront le plus près possible de leurs frontières ». (Pièce n° 22)

Ainsi, lors de la conférence entre les chefs d’Etats major, le 20 février 1901, le Ministre des Affaires étrangères français « était tout prêt à venir examiner avec son collègue russe les conditions d’une combinaison financière qui permettrait au gouvernement russe d’entreprendre, dans le plus prochain délai, la construction de chemins de fer stratégiques indispensables pour accélérer la concentration de ses armées »24.

  • 20 René Girault, Emprunts russes et investissements français en Russie 1887-1914, éd. Histoire Economique et

  • 21 Financière de la France – Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 1999, p 70 (Pièce n° 18)

  • 22 N. Westwood, A History of Russian Railways, Georges Allen & Unwin, London, 1964, p 64 (Pièce n° 21)

  • 23 Westwood, op.cit., p 65 (Pièce n° 21)
    René Girault, Emprunts russes et investissements français en Russie 1887-1914, éd. Histoire Economique et

  • 24 Financière de la France – Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 1999, p 41 (Pièce n° 18)
    Procès-verbal de la Conférence entre les chefs d’Etats major du 20 février 1901, extrait cité dans Pierre Renouvin, Finance et politique : l’emprunt russe d’avril 1906 en France, in Etudes suisses d’Histoire générale, vol. 18-19, 1960-1961 (Pièce n° 17)

13

La construction de nouvelles lignes et les plans de mobilisation corrélatifs ont notamment permis d’augmenter le nombre des trains pouvant rejoindre le front ouest en une journée de 200 en 1900 à 360 en 191425.

En l’espèce, la compagnie du Nord-Donetz a été créée en juin 1908 (la « Compagnie ») et le réseau a fonctionné au plus tard à partir de 1911-1912. Il ressort des termes des titres produits par les Demandeurs que le 4,5% Nord-Donetz 1908 a été émis pour la construction des lignes de la première série du réseau Nord-Donetz, qui comprend une ligne de chemin de fer de Lgov à Olkhovaia et divers embranchements sur Kramatorskaïa et dans le rayon de la station Almaznaïa du Chemin de Fer Catherine (embranchements de Sentianovka). (Pièces adverses n° 13 à 23)

Le caractère d’intérêt général de la ligne de chemin de fer du Nord-Donetz est expressément mentionné dans les statuts de la Compagnie :

« En vertu des présents statuts, la compagnie du chemin de fer du Nord-Donetz se constitue pour construire et exploiter : (a) une ligne ferroviaire à voie normale, d’intérêt général, de la station Lgof (...) (b) des embranchements à voie normale, d’intérêt général (...) »26. (Pièce n° 24)

Illustrent le caractère stratégique et d’intérêt général de la ligne de chemin de fer du Nord-Donetz, d’une part, la tutelle de l’Etat russe tant sur le plan budgétaire qu’opérationnel et d’autre part, les prérogatives de puissance publique octroyées à la Compagnie. Les statuts de la Compagnie présentaient d’ailleurs des clauses exorbitantes en ce qu’elles la plaçaient sous le contrôle étroit du Gouvernement l’Empire de Russie27. (Pièce n° 24)

Il résulte de ce qui précède que la Garantie a été accordée par le Gouvernement de l’Empire de Russie dans l’intérêt du service public de la défense russe, afin de développer le réseau ferroviaire russe qui constituait un élément essentiel du dispositif militaire et stratégique de la Russie. En outre, le Gouvernement de l’Empire de Russie a pu, au moyen de cette garantie, satisfaire à ses engagements internationaux, notamment à l’égard de la France envers laquelle il s’était engagé, en tant qu’Etat souverain, à concentrer et mobiliser plus rapidement ses forces armées. La Garantie donnée par le Gouvernement de l’Empire de Russie participait dès lors à l’exercice de sa souveraineté. En aucun cas elle n’a été donnée « dans la forme, selon le mode, et suivant les données du droit privé »28.

C’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 8 juin 2005 rendu dans l’affaire De Dreux-Brèze c/ Gouvernement de la Fédération de Russie relative à des emprunts émis avant 1917 par des compagnies de chemin de fer russes et garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie :

« la garantie accordée par le gouvernement de l’Empire de Russie aux emprunts destinés à la construction de chemins de fer l’a été dans l’intérêt d’un service public, le transport ferroviaire ayant été, à compter du milieu du 19ème siècle le principal vecteur de développement économique, dans l’Empire de Russie comme dans toute l’Europe, et auquel cet Etat essentiellement continental ne pouvait qu’accorder la

  • 25 Niall Ferguson, The pity of war, Basic Books 1999, p 96 (Pièce n°23)

  • 26 Soulignement ajouté

  • 27 Pour un exemple de clauses “inégalitaires”, voir R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Montchrestien

  • 28 15ème édition, n°726.
    Cass. Civ. 1, 7 octobre 1969, Bull. 1969, n°293.

14

plus vive attention comme le plus grand intérêt, tant stratégiques qu’économiques (...) »29. (Pièce n°16)

Comme souligné plus haut, les emprunts 4,5% émis par la Compagnie du Nord- Donetz figuraient parmi les titres produits par le demandeur dans cette affaire. (Pièce n° 25)

En conclusion, il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que l’émission du 5% 1906 et la Garantie donnée par le Gouvernement de l’Empire de Russie pour le paiement du 4,5% Nord-Donetz 1908 portent l’empreinte, tant par leur forme que par leur finalité, de la puissance publique et constituent des actes d’autorité.

La Fédération de Russie bénéficie de l’immunité de juridiction à ce titre, immunité à laquelle elle n’a pas renoncé. Les demandes de l’AFIPER des autres demandeurs seront donc déclarées irrecevables.

2) Les Demandeurs n’ont pas intérêt à agir dans la présente instance

Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables en ce qu’ils ne démontrent pas avoir intérêt à agir dans la présente instance.

Les Demandeurs produisent en effet des copies des titres dont ils seraient propriétaires, la répartition de ces titres entre eux figurant dans la liste des pièces en annexe de l’assignation du 9 octobre 2012. (Pièces adverses n° 2 à 23)

Le droit de propriété des Demandeurs n’est en fait aucunement établi. Les Demandeurs ne présentent notamment aucun constat d’huissier permettant de certifier que les Demandeurs sont en possession des originaux des emprunts dont ils se prévalent ou que les copies produites sont conformes aux originaux.

En cette absence, les Demandeurs ne démontrent pas avoir intérêt à agir dans la présente instance. Leurs demandes seront donc déclarés irrecevables.

3) Le Traité prive les Demandeurs de toute action contre la Fédération de Russie

Selon l’article 55 de la Constitution française, «Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie ».

En l’espèce, l’autorisation d’approbation du Traité a été donnée le 19 décembre 1997, le Traité a été publié le 6 mai 1998 au Journal Officiel de la République française et appliqué par la Fédération de Russie, qui a effectué le dernier versement au mois d’août 2000.

Le Traité a donc une valeur supra-législative qui s’impose à tous les justiciables français, y compris à l’AFIPER et aux autres demandeurs.

En vertu du Traité, le Gouvernement français est seul responsable du règlement des Emprunts Russes à l’égard de ses ressortissants (3.1). En tout état de cause, le Traité a éteint les prétendus droits de créance dont disposeraient les porteurs au titre de la détention des Emprunts Russes (3.2).

29 Soulignement ajouté.

15

3.1 Seul le Gouvernement de la République française est responsable au titre des Emprunts Russes à l’égard des porteurs français

Aux termes de l’article 1 de l’Accord de 1997, le Gouvernement de la République française a renoncé à soutenir, notamment, toutes revendications relatives aux Emprunts Russes.

L’article 3 de l’Accord du 27 mai 1997 prévoit que :

« La Partie française assume la responsabilité exclusive du règlement des créances financières et réelles qu’elle a renoncé à soutenir conformément aux conditions du présent Accord, ainsi que de la répartition des sommes perçues conformément au présent Accord entre les personnes physiques et morales françaises, conformément à la législation française en vigueur (...) »30. (Pièce n° 3)

En application du Traité, le Gouvernement de la République française a donc accepté d’assumer deux obligations distinctes à l’égard des porteurs d’Emprunts Russes :

D’une part, à l’égard de ses ressortissants, il assume la responsabilité exclusive du règlement des Emprunts Russes. En outre, le Gouvernement français est seul responsable de la répartition des 400 millions de dollars versés par la Fédération de Russie en exécution du Traité ;

D’autre part, à l’égard de la Fédération de Russie, il s’est engagé à ne pas présenter ni soutenir les créances liées aux Emprunts Russes.

Au vu de ce double engagement, la présente action des Demandeurs ne saurait prospérer.

La France s’étant engagée à apurer les créances de ses ressortissants, en particulièrement celles résultant des Emprunts Russes31, la responsabilité de la Fédération de Russie ne peut être retenue « à aucun titre », cette disposition du Traité étant claire et précise.

Le Gouvernement français a mis en œuvre la répartition des 400 millions de dollars. Dans ce cadre, a été mise en place par décret du 12 février 1997 la Commission de Suivi chargée de l’exécution des opérations de répartition.

En réclamant à la Fédération de Russie le paiement des Deux Emprunts, l’AFIPER et les autres demandeurs demandent au Tribunal d’ignorer les modalités d’indemnisation organisées par le Gouvernement français, seule voie d’indemnisation prévue par les dispositions supra-législatives du Traité.

En outre, les créances dont les Demandeurs se prévalent ne sont pas opposables à la Fédération de Russie qui n’est pas, par principe et sauf acceptation expresse de sa part, responsable des dettes de l’Empire de Russie.

Or, le Gouvernement de la Fédération de Russie n’a jamais accepté d’être responsable des dettes du Gouvernement de l’Empire de Russie résultant des Emprunts Russes. Au contraire, elle a rappelé cette absence de responsabilité aux termes du Traité, signé à des fins

  • 30 Soulignement ajouté.

  • 31 S. Szurek, Épilogue d'un contentieux historique : l'accord du 27 mai 1997 entre le gouvernement de la
    République française et le gouvernement de la Fédération de Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945, Annuaire français de droit international, XLIV, CNRS Editions, Année 1998, Volume 44, Numéro 44 (Pièce n° 26)


16

diplomatiques dans le cadre de ses relations avec la France. L’Accord du 27 mai 1997 dispose ainsi en son article 7 que :

« Le versement de la somme mentionnée à l’article 3 du présent Accord n’est pas réputé valoir reconnaissance par l’une ou l’autre Partie de l’existence d’une responsabilité lui incombant au titre de quelque créance que ce soit réglée par le présent accord, ni valoir confirmation de la réalité juridique de l’une quelconque desdites créances ».

Les dettes du Gouvernement de l’Empire Russe dont se prévalent les demandeurs à la présente instance sont donc inopposables à la Fédération de Russie.

3.2 En tout état de cause, le Traité a éteint toute créance des porteurs d’Emprunts Russes

En outre, même s’il fallait considérer que l’AFIPER et les autres demandeurs disposent d’un droit d’action à l’encontre de la Fédération de Russie, votre Tribunal devrait à tout le moins constater que les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables en ce que les Demandeurs n’ont plus intérêt à agir au titre des Deux Emprunts, en paiement des coupons et du capital prêté ; cet intérêt a disparu avec leur qualité de créancier.

En effet, ainsi qu’il a été indiqué plus haut, le Gouvernement de la Fédération de Russie a versé à la France la somme de 400 millions de dollars à titre de solde global et forfaitaire réglant complètement et définitivement toutes créances relatives aux Emprunts Russes.

En conséquence du versement de ce solde global et forfaitaire, l’Accord du 27 mai 1997 dispose que :

« les créances (...) qui constituent l’ensemble des créances financières et réelles réciproques apparues antérieurement au 9 mai 1945, sont réputées avoir été réglées complètement et définitivement par le versement de la somme mentionnée à l’article 3 du présent Accord »32.


laquelle :

Cette disposition est conforme à celle du Mémorandum d’accord aux termes de

«Toutes ces créances seront réputées avoir été réglées définitivement et intégralement par le versement de la totalité de la somme mentionnée dans le présent Mémorandum »33.

Les Demandeurs ne sont donc plus titulaires d’un quelconque droit de créance au titre de la détention d’Emprunts Russes.

Il en résulte que l’AFIPER et les autres demandeurs n’ont pas intérêt à agir en paiement des Deux Emprunts et de la Garantie à l’encontre de la Fédération de Russie. Leurs demandes seront déclarées irrecevables.

  • 32 Soulignement ajouté.

  • 33 Soulignement ajouté.


17

4) Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont irrecevables du fait de la prescription des titres

La prescription extinctive d’une obligation est soumise, en droit international privé français, à la loi qui régit ladite obligation34.

En outre, la loi applicable à la garantie dont est assortie une créance relève de la loi régissant ladite créance, dès lors que les parties, s’abstenant de la soumettre à une loi distincte, ne lui ont concédé aucune autonomie35.

Ainsi qu’il va être démontré (III.C.1) ci-dessous), le droit russe est applicable aux Emprunts Russes.

Or, il résulte de la consultation du Professeur Avtonomov produite par la concluante qu’en droit russe, et par application des articles 196 et 200 du Code civil russe, une obligation se prescrit par trois ans à compter du jour de la connaissance, par celui qui se prévaut de ladite obligation, de sa violation. (Pièce n° 27)

En l’espèce, les obligations dont se prévalent les Demandeurs ont fait l’objet d’un décret du 21 janvier 1918 du gouvernement soviétique annulant les Emprunts Russes, décret à la suite duquel le paiement des intérêts et des amortissements des Deux Emprunts a cessé. Les titulaires desdits Emprunts ont eu connaissance de l’annulation dès la publication du décret.

Les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont donc prescrites depuis le 20 janvier 1921.

En tout état de cause, même si le délai de prescription devait courir à compter de la date de maturité des Deux Emprunts (respectivement 1956 et au plus tard au début des années 1990), l’action des Demandeurs serait prescrite.

C. A titre infiniment subsidiaire, les demandes de l’AFIPER et des autres demandeurs sont mal fondées

Si par impossible le Tribunal considérait que l’assignation du 9 octobre 2012 était valable et que les Demandeurs étaient recevables à agir, il constatera que leurs demandes sont mal fondées d’une part, parce que les droits dont se prévalent les Demandeurs sont inexistants (2.), d’autre part, parce que la Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie a expiré (3.) et enfin, en ce que les Demandeurs n’apportent pas la preuve de la valeur des titres dont ils se prévalent (4.).

A titre liminaire, il sera rappelé que les Deux Emprunts et la Garantie sont régis par le droit russe (1.).

1) A titre liminaire, le droit russe est applicable aux Deux Emprunts et à la Garantie

La loi russe est applicable aux Emprunts Russes et aux garanties du Gouvernement de l’Empire de Russie qui en sont les accessoires.

  • 34 Civ. 1ère, 21 avril 1971 in RCDIP 1972 p 74.

  • 35 Civ. 1ère, 1er juillet 1981 in JDI 1982.148.


18

En effet, selon la règle des conflits de loi applicable aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, à défaut de choix exprès par les parties de la loi applicable à leur contrat, il incombe au juge du fond de la déterminer d’après l’économie du contrat et les circonstances de la cause36.

La méthode du faisceau d’indices avait pour objectif de déterminer la loi présentant avec le contrat les liens les plus étroits. En vertu de cette méthode, le juge devait tenir compte de l’ensemble des circonstances de nature à déterminer la localisation du contrat37.

En l’espèce :

(i) Le 5% 1906 a été émis en vertu de l’Oukase Impérial - édit promulgué par le Tsar - du 4/17 avril 1906. Quant au 4,5% Nord-Donetz 1908, les statuts de la Compagnie de chemin de fer étaient soumis à la législation russe, étant « sanctionnés par S.M. I. le tsar le 4/17 juin 1908 ». (Pièce n° 24) ;

(ii) Les Deux Emprunts sont libellés en roubles ;

(iii) les Deux Emprunts ont été émis dans plusieurs pays différents, dont la France, et étaient remboursables dans chacun de ces pays. Les titres avaient ainsi vocation à être remboursés, « au choix du porteur », en France (Paris), mais également en Russie (Saint Petersbourg), en Allemagne (Berlin), en Suisse (Genève), en Belgique (Bruxelles), en Grande- Bretagne (Londres) ou aux Pays-Bas (Amsterdam) (Pièces adverses n° 2 à 23) ;

(iv) Le 5% 1906 a été émis par le Gouvernement de l’Empire de Russie et le 4,5% du Nord-Donetz 1908 par la Compagnie de chemin de fer du Nord-Donetz avec la Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie, et ce afin de satisfaire à des considérations d’intérêt général à la fois politique, stratégique, militaire et d’aménagement du territoire, ainsi qu’il a été rappelé plus haut ;

(v) aucune clause de droit applicable ne figure sur les titres produits par les Demandeurs.

Ces circonstances conduisent à rattacher les Deux Emprunts et la Garantie du Gouvernement impérial au droit russe.

2) Les droits des Demandeurs n’existent plus depuis le décret soviétique du 21 janvier 1918 annulant les Emprunts Russes

Ainsi qu’il a été rappelé, les obligations dont se prévalent les Demandeurs ont fait l’objet d’un décret du 21 janvier 1918 du gouvernement soviétique annulant les Emprunts Russes et la Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie.

Les droits de créance dont se prévalent les Demandeurs sont dès lors inexistants et ne peuvent valablement fonder une demande en paiement.

  • 36 Civ. 1ère, 6 juillet 1959 in Grands arrêts dr. int. pr. n°35.

  • 37 Civ. 1ère, 7 juin 1977 in RCDIP 1978.119.

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3) La Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie pour l’émission du 4,5% Nord-Donetz 1908 a expiré

Il ressort des copies des titres produites par les Demandeurs que le 4,5% Nord- Donetz 1908 est garanti « jusqu’au terme de la concession » seulement38.

Or, il résulte des statuts de la Compagnie de chemin de fer du Nord-Donetz que :

« la compagnie a la jouissance de toute l’entreprise du chemin de fer du Nord- Donetz, avec tout ce qui le concerne, pour une durée de quatre-vingt-une années à compter de l’ouverture au trafic régulier des lignes de la 1ère série (...) ». (Pièce n° 24, article 3)

Le réseau du Nord-Donetz a fonctionné au plus tard à partir de 1911-1912.

Même si l’on devait écarter les effets, sur le statut des concessions octroyées aux compagnies de chemin de fer, de la disparition de l’Empire de Russie en 1917 puis de l’URSS en 1991, la concession accordée à la Compagnie du Nord-Donetz aurait expiré au plus tard au début des années 1990.

La Garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie a donc expiré à cette date ; les Demandeurs ne peuvent dès lors valablement invoquer la responsabilité de la Fédération de Russie au titre de la Garantie.

4) Les Demandeurs ne rapportent pas la preuve du montant de leurs créances alléguées

Les Demandeurs produisent deux rapports de 7 et 8 pages chacun, portant respectivement sur le 5% 1906 et le 4,5% Nord-Donetz 1908, d’une société d’actuariat conseil (Anteeo) dont l’objet est d’évaluer la valeur actuelle de ces titres. Pour ce faire, ces rapports se contentent d’utiliser une parité or «supposée» pertinente, et de l’appliquer de manière mécanique. (Pièces adverses n° 24 et 25)

39 Cette méthode grossière a été «défini[e] par les avocats de l’association et non par Anteeo ; elle ne peut donc être considérée comme une méthode de

AFIPER »

valorisation déterminée par un expert indépendant.

En outre cette méthode est dénuée de pertinence. En particulier, les Deux Emprunts sont libellés en roubles de 1906 pour l’un et de 1908 pour l’autre et pouvaient, le cas échéant, être payés dans d’autres monnaies notamment en anciens francs. Les Deux Emprunts n’étaient en aucun cas payables en or

L’évaluation sur laquelle se fondent les Demandeurs est donc inexacte et fantaisiste. Les Demandeurs ne rapportent pas la preuve de l’évaluation de leurs créances alléguées, preuve qui leur incombe pourtant. Le Tribunal ne pourra que les débouter de toutes leurs demandes à l’encontre de la Fédération de Russie.

  • 38 Pièces adverses n° 13 à 23.

  • 39 Pièce adverse n° 24, p. 4. Pièce adverse n° 25, p. 5.

20

Enfin, il serait particulièrement inéquitable de laisser à la charge de la concluante les frais irrépétibles exposés au titre de la présente procédure. Il est donc demandé au Tribunal de grande instance de Paris de condamner les Demandeurs au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

21

PAR CES MOTIFS

Il est demandé au Tribunal de grande instance de Paris de:

− Déclarer l’assignation du 9 octobre 2012 délivrée par l’AFIPER, Monsieur Frédéric Arnault, Madame Mauricette Cornaire, Monsieur Hervé Fanara-Ebel, Monsieur Michel Grosset, Madame Christiane Jacob, Monsieur Christophe Magnino, Monsieur Jean- Yves Martin, Monsieur Patrick Nègre, Monsieur Louis-Noël Pernot, Monsieur Eric Sanitas nulle et de nul effet ;

A titre subsidiaire :

− Déclarer l’AFIPER, Monsieur Frédéric Arnault, Madame Mauricette Cornaire, Monsieur Hervé Fanara-Ebel, Monsieur Michel Grosset, Madame Christiane Jacob, Monsieur Christophe Magnino, Monsieur Jean-Yves Martin, Monsieur Patrick Nègre, Monsieur Louis-Noël Pernot, Monsieur Eric Sanitas irrecevables en leurs demande ;

A titre infiniment subsidiaire :

  • − Déclarer les demandes de l’AFIPER, Monsieur Frédéric Arnault, Madame Mauricette Cornaire, Monsieur Hervé Fanara-Ebel, Monsieur Michel Grosset, Madame Christiane Jacob, Monsieur Christophe Magnino, Monsieur Jean-Yves Martin, Monsieur Patrick Nègre, Monsieur Louis-Noël Pernot, Monsieur Eric Sanitas tendant au paiement par la Fédération de Russie des emprunts russes émis et garantis par le Gouvernement de l’Empire de Russie mal fondées ;

  • − Les débouter de l’ensemble de leurs demandes ; En tout état de cause :

− Condamner in solidum l’AFIPER, Monsieur Frédéric Arnault, Madame Mauricette Cornaire, Monsieur Hervé Fanara-Ebel, Monsieur Michel Grosset, Madame Christiane Jacob, Monsieur Christophe Magnino, Monsieur Jean-Yves Martin, Monsieur Patrick Nègre, Monsieur Louis-Noël Pernot, Monsieur Eric Sanitas au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

739886

22

SOUS TOUTES RESERVES

LISTE DES PIECES AU SOUTIEN DES CONCLUSIONS

  1. Traduction du décret soviétique du 21 janvier 1918

  2. Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945 sous forme de mémorandum d’accord, signé à Paris le 26 novembre 1996

  3. Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945 du 27 mai 1997

  4. Loi n° 97-1160 du 19 décembre 1997

  5. Décret n° 98-366 du 6 mai 1998

  6. Article 73 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998

  7. Décret n° 98-552 du 3 juillet 1998

  8. Article 48 de la loi de finances rectificative pour 1999 du 30 décembre 1999

  9. Décret n° 2000-777 du 23 août 2000

  10. Décret n° 2000-1091 du 9 novembre 2000

  11. Assignation délivrée par l’AFPER le 22 mai 2002

  12. Assignation délivrée par Monsieur de Dreux-Brèze le 22 juillet 2002

  13. Communiqué de presse n° 1 de l’AFIPER du 9 juin 2008

  14. Jugement du 3 décembre 2003 du Tribunal de grande instance de Paris (RG n°02/10283)

  15. Jugement du 3 décembre 2003 du Tribunal de grande instance de Paris (RG n°02/13298)

  16. Arrêt du 8 juin 2005 de la Cour d’appel de Paris

  17. Pierre Renouvin, Finance et politique : l’emprunt russe d’avril 1906 en France, in Etudes suisses d’Histoire générale, vol. 18-19, 1960-1961

  18. René Girault, Emprunts russes et investissements français en Russie 1887-1914, éd. Histoire Economique et Financière de la France – Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 1999, p. 41, 70, 401 et 439

  19. Prof. P.P. Migouline/ Le Credit Public en Russie. Volume III, 1907, p. 1187

  20. Wladimir Berelowitchla, Révolution de 1905 dans l’opinion républicaine française, in Cahier du monde russe 2007, Vol. 48

  21. N. Westwood, A History of Russian Railways, Georges Allen & Unwin, London, 1964, p. 64 – 65

  22. Convention militaire franco-russe du 17 août 1892

  23. Niall Ferguson, The pity of war, Basic Books 1999, p 96

  24. Statuts de la compagnie du Nord-Donetz

23

  1. Pièce n° 17 produite par Monsieur Dreux Brèze et liste des pièces

  2. S. Szurek, Épilogue d'un contentieux historique : l'accord du 27 mai 1997 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Fédération de Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945, Annuaire français de droit international, XLIV, CNRS Editions, Année 1998, Volume 44, Numéro 44

  3. Consultation du Professeur Avtonomov

Réponse de nos avocats

RG n°12/15781

1ère chambre civile

Communiquées par RPVA le 30 avril 2014

CONCLUSIONS RECAPITULATIVES N°1

POUR

  1. L’ASSOCIATION FEDERATIVE INTERNATIONALE DES PORTEURS D’EMPRUNTS RUSSES (AFIPER)Association régie par la loi du 1er juillet 1901 inscrite à la préfecture du Puy‐de‐Dôme Ayant son siège 12, rue Jules Guesde ‐ 63100 CLERMONT‐FERRANDReprésentée par son président en exercice, Monsieur Eric SANITAS, domicilié en cette qualité audit siège

  2. Monsieur Frédéric ARNAULTNé le 15 mai 1960 à DESERTINES (03)De nationalité françaisePraticien hospitalier‐biologiste des hôpitauxDemeurant L’enclos de Lancelot, 5 Hameau de Breuil ‐ 02470 NEUILLY‐SAINT‐FRONTReprésenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  3. Madame Mauricette CORNAIRENée le 4 mai 1944 à FONTENAIS‐LES‐BRIIS (91)De nationalité françaiseRetraitéeDemeurant 4, impasse de Bellevue ‐ 77200 TORCYReprésentée par l’AFIPER, chez qui elle élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’elle lui a consenti le 1er septembre 2012

  4. Monsieur Hervé FANARA‐EBELNé le 7 août 1959 au BLANC‐MESNIL (93)De nationalité françaiseAgent de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) Demeurant 2, rue Saint‐Martin ‐ 60800 FRESNOY‐LE‐LUATReprésenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  5. A Mesdames et Messieurs les Président et Juges du Tribunal de grande instance de Paris

  6. Monsieur Michel GROSSETNé le 29 septembre 1946 à NEUVILLE‐LES‐DIEPPE (76) De nationalité françaiseRetraitéDemeurant 16, rue de la Porte Jaune ‐ 18000 BOURGESReprésenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  7. Madame Christiane JACOBNée le 22 août 1935 à NOISY‐LE‐ROI (78)De nationalité françaiseRetraitéeDemeurant Résidence Guy de Maupassant ‐ 29, rue Thiers ‐ 76200 DIEPPEReprésentée par l’AFIPER, chez qui elle élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’elle lui a consenti le 1er septembre 2012

  8. Monsieur Christophe MAGNINONé le 10 avril 1969 à CAEN (14)De nationalité françaiseFabricant de médaillesDemeurant 4, allée du Dan ‐ 14112 BIEVILLE‐BEUVILLEReprésenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  9. Monsieur Jean‐Yves MARTINNé le 6 février 1953 à VANNES (56)De nationalité françaiseConseiller référent à Pôle Emploi Demeurant 15, rue Marbeau ‐ 75016 PARISReprésenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  10. Monsieur Patrick NEGRENé le 7 janvier 1958 à FES (Maroc)De nationalité françaiseExpert patrimonialDemeurant 2, rue de la Mare du Bois ‐ 91730 MAUCHAMPS‐CHAMARANDEReprésenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  11. ‐2‐

  12. 10. Monsieur Louis‐Noël PERNOT

  13. Né le 26 décembre 1948 à TUNIS (Tunisie)

  14. De nationalité française

  15. Expert‐comptable

  16. Demeurant 5, square de Choiseul ‐ 78150 LE CHESNAY

  17. Représenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  18. 11. Monsieur Eric SANITAS

  19. Né le 13 mai 1958 à Cébazat (63)

  20. De nationalité française

  21. Chef d’entreprise

  22. Demeurant 49, impasse de Jarzy ‐ 63112 BLANZAT

  23. Représenté par l’AFIPER, chez qui il élit domicile pour les besoins de la présente procédure, en vertu du mandat qu’il lui a consenti le 1er septembre 2012

  24. CONTRE

  25. Ayant tous pour avocat constitué

  26. La SELAS GENET COLBOC GOUBAULT

  27. [Maître Jacques‐Alexandre GENET]

  28. Avocat au Barreau de Paris

  29. 92, rue Jouffroy d’Abbans ‐ 75017 PARIS

  30. Tél. 01 40 54 51 00 ‐ Fax 01 40 54 51 01 ‐ Toque P 122

  31. L’ETAT DE LA FEDERATION DE RUSSIE

  32. Ayant pour avocat constitué

  33. Le cabinet CLEARY GOTTLIEB STEEN & HAMILTON

  34. [Maître Jean‐Yves GARAUD et Delphine MICHOT]

  35. Avocat au Barreau de Paris

  36. 12, rue de Tilsitt ‐ 75008 PARIS

  37. Tél. 01 40 74 68 00 ‐ Fax 01 40 74 68 88 ‐ Toque J 21

  38. Défendeur

  39. ‐3‐

  40. Demandeurs

  41. SOMMAIRE

  42. I. RAPPEL DES FAITS .................................................................................................................................. 6

  43. A. ELEMENTS DE CONTEXTE ......................................................................................................................... 6

  44. 1. L’Europeaprèslaguerrede1870...........................................................................................................6 2. L’«alliance»entrelaFranceetlaRUSSIE..........................................................................................6 3. Larévolutionde1917.............................................................................................................................7

  45. B. L’ASSOCIATION FEDERATIVE INTERNATIONALE DES PORTEURS D’EMPRUNTS RUSSES ................... 7 II. DISCUSSION ............................................................................................................................................. 9

  46. A. LES TITRES DONT LES DEMANDEURS SONT PORTEURS ET LEUR EVALUATION ................................... 9

  47. L’empruntà5%émisparl’Etatrusseen1906.....................................................................................9

  48. LaGarantieaccordéeparRUSSIEàl’Emprunt‐Obligationsà4,5%émisparlaCompagnieduchemin de fer du Nord‐Donetz en 1908............................................................................................................ 10

  49. EvaluationdesTitres...........................................................................................................................12a. Pour le 5% 1906.............................................................................................................................................. 12 b.Pour le 4,5% Nord‐Donetz ........................................................................................................................... 13

  50. B. L’ASSIGNATION EST PARFAITEMENT REGULIERE................................................................................. 15 C. LES DEMANDES SONT RECEVABLES....................................................................................................... 15

  51. 1. LaRUSSIEnepeutopposeraucuneimmunitédejuridiction.............................................................16

  52. a. La notion d’immunité de juridiction : d’une immunité absolue à une immunité relative ne portant que sur les actes relevant de l’exercice de la souveraineté...................................................................... 16 b.Le régime de l’immunité de juridiction doit être apprécié au jour où le juge statue ........................... 19

  53. c. Le 5% 1906 et la Garantie sont, par définition, des transactions commerciales qui ne participent ni par leur nature, ni par leur finalité, à l’exercice de la souveraineté de la RUSSIE ............................... 20

  54. Le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz sont, par définition, des transactions commerciales ....................................................................................................................................... 21

  55. Le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz ne participent pas par leur nature à l’exercice de la souveraineté de la RUSSIE ....................................................................................................... 21

  56. Le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz ne participent pas par leur finalité à l’exercice de la souveraineté de la RUSSIE ....................................................................................................... 24 ‐ En droit, la recherche du but ultime de l’acte litigieux n’est pas pertinente ......................... 24 ‐ Le but ultime d’intérêt public invoqué par la RUSSIE est inopérant...................................... 28 ‐ Le but ultime d’intérêt public invoqué par la RUSSIE n’est pas l’exercice de sa souveraineté ............................................................................................................................................................ 28

  57. 2. LesDemandeurssontporteursdesEmpruntsoriginaux....................................................................29 3. L’Accordde1997estsanseffetsurledroitd’actiondesDemandeurs................................................30

  58. a. L’Accord est inopposable aux Demandeurs .............................................................................................. 30 ‐4‐

  59. D.

  60. E.

  61. 4. LesdroitsdesDemandeursnesontpasprescrits.................................................................................34

  62. a. La loi française est applicable aux Emprunts et donc à la Garantie ....................................................... 34

  63. Le droit international privé français désigne la loi française ........................................................ 34‐ L’application du droit commun avant l’entrée en vigueur de la Convention de Rome et du Règlement Rome 1 ........................................................................................................................... 35 ‐ L’application du droit commun à la lumière de la Convention de Rome et du Règlement Rome 1 ............................................................................................................................................... 37

  64. Le droit international privé russe renvoie à la loi française .......................................................... 37

  65. b.La prescription de la Garantie n’est pas acquise....................................................................................... 38 c. La RUSSIE a renoncé à la prescription ....................................................................................................... 39

  66. LES DEMANDES SONT BIEN FONDEES.................................................................................................... 40

  67. 1. Ledécretrussed’annulationunilatéraledesEmpruntsnesauraitpermettreàlaRUSSIEd’échapperà ses obligations contractuelles ............................................................................................................... 41

  68. 2. LaGarantiecouvretouslesdéfautsdepaiementsintervenusavantletermedelaconcession,soitau début des années 1990.......................................................................................................................... 41

  69. LA RUSSIE DOIT SUPPORTER LES FRAIS DE PROCEDURE.................................................................... 42

  70. b.La RUSSIE est responsable des dettes de l’Empire russe......................................................................... 32

  71. ‐5‐

  72. RAPPEL DES FAITS

  73. PLAISE AU TRIBUNAL

  74. I.

  75. 1.

  76. 2. Dans cette perspective, l’Allemagne se rapproche dans un premier temps de la RUSSIE et de l’Autriche‐Hongrie en créant en 1873 l’Entente des trois Empereurs, accord à la fois militaire et politique. La crise des Balkans de 1875‐1878 qui oppose la RUSSIE à l’Autriche‐Hongrie conduit dans un deuxième temps l’Allemagne, avec l’Autriche‐Hongrie, à se rapprocher de l’Italie dans le cadre de la Triple Alliance, créée en 1882. L’alliance entre l’Allemagne et la RUSSIE perdurera officiellement jusqu’au départ de Bismarck, en 1890, grâce au Traité de réassurance conclu entre les deux puissances en 1887.

  77. 3. Mais l’entente entre les empires allemand et russe, menacée par les visées de l’Autriche‐Hongrie sur les Balkans, était fissurée depuis dix ans.

  78. 2. L’ « alliance » entre la France et la RUSSIE

  79. 4. En 1888, l’Empire tsariste se tourne vers la France, non pas sur le plan militaire, mais sur le plan financier, en émettant avec succès une série d’emprunts sur le marché français, après quelques tentatives antérieures moins réussies. Face à ses énormes besoins financiers et après le refus, en 1890, du nouvel Empereur allemand Guillaume II de renouveler le Traité de réassurance afin de renforcer ses liens avec l’Autriche‐Hongrie, l’Empire russe se rapproche davantage de la France, rapprochement qui se concrétisera par la conclusion de l’alliance franco‐russe en 1891‐1892, qui durera jusqu’en 1917.

  80. 5. En offrant à la France la protection militaire contre l’Allemagne qu’elle recherchait depuis vingt ans, la RUSSIE accède ainsi au marché financier étranger dont elle avait urgemment besoin. L’industrialisation rapide de l’Empire tsariste, l’immensité du territoire, la construction du Transsibérien à partir de 1891, ou encore la nécessité de consolider les positions militaires sur sa frontière ouest, impliquaient des apports de fonds considérables. La RUSSIE avait précédemment fait appel à l’épargne allemande, en émettant en 1880 en Allemagne un emprunt destiné à la construction de chemins de fer dans sa partie est. L’emprunt avait été rapidement clôturé du fait de la méfiance de Bismarck à l’égard des finances russes et le marché allemand était devenu de facto marginal pour la RUSSIE, tant du


  81. A.

  82. ELEMENTS DE CONTEXTE

  83. 1. L’Europe après la guerre de 1870


  84. A l’issue de la guerre de 1870 perdue contre la Prusse, la France est affaiblie et isolée au sein de l’Europe. Sur le plan militaire, son armée est en déroute et l’Alsace‐Lorraine a été annexée par l’Empire allemand. Sur le plan diplomatique, son isolement est entretenu par les puissances continentales. Pour anticiper une éventuelle revanche de la France et freiner son expansion coloniale, l’Allemagne de Bismarck déploie ainsi durant vingt ans un jeu d’alliances visant prioritairement à maintenir la France à l’écart.

  85. ‐6‐

  86. fait des besoins internes prioritaires de l’Allemagne qui drainaient l’essentiel de son épargne que des relations entre les deux pays, désormais trop peu rassurantes.

  87. 6. Dans ce contexte, de multiples emprunts ont été émis sur le marché français par le gouvernement russe jusqu’en 1914, rencontrant systématiquement un soutien massif par les porteurs français. Il en a été de même pour les nombreux emprunts émis par l’Etat russe pour le compte de compagnies de chemins de fer, de collectivités locales ou encore de banques spécialisées.

  88. 7. Ainsi, en 1914, la bourse de Paris cotait dix‐huit emprunts d’Etat russes, six emprunts de collectivités locales russes et trente‐deux emprunts souscrits par l’Etat pour le compte de compagnies de chemin de fer russes.

  89. 3. La révolution de 1917

  90. 8. A l’occasion de la révolution de 1917, et malgré les engagements de la RUSSIE et la pluralité des garanties qu’elle offrait dans le cadre de ces emprunts, cet Etat a purement et simplement répudié la lourde dette accumulée à l’égard des porteurs français en quasiment trente ans.

  91. 9. Par un premier décret en date du 23 décembre 1917 (5 janvier 19181), le Comité exécutif central des Soviets a en effet décidé de la cessation des paiements des coupons et dividendes des emprunts souscrits et/ou garantis par les gouvernements précédents et interdit toute transaction sur ces titres.

  92. 10. Puis, par un second décret en date du 21 janvier 1918 (3 février 1918), le Comité central a annulé l’ensemble des emprunts émis par les gouvernements précédents de l’Etat russe à compter du 1er décembre 1917.

  93. 11. En clair, les porteurs français d’emprunts russes n’ont plus vu leur créance honorée depuis près d’un siècle.

  94. B. L’ASSOCIATION FEDERATIVE INTERNATIONALE DES PORTEURS D’EMPRUNTS RUSSES


  95. 12.

  96. l’“AFIPER”) est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, créée le 1er juin 2008 et inscrite à la Préfecture du Puy‐de‐Dôme.

  97. L’Association Fédérative Internationale des Porteurs d’Emprunts Russes (ci‐après,

  98. 1 Jusqu’au 13 février 1918, la RUSSIE se référait au calendrier julien, qui était alors en retard de 13 jours par rapport au calendrier grégorien utilisé dans le reste de l’Europe depuis 1582, et dans le reste du monde depuis le début du 20ème siècle.

  99. ‐7‐

  100. Selon l’article 2 de ses statuts,

  101. « Cette association a pour but de regrouper les porteurs d’emprunts émis ou garantis par l’état russe avant 1917, quelle que soit leur nationalité, le nombre de titres qu’ils détiennent, et la date à laquelle ils les ont acquis ou obtenus, afin d’obtenir leur remboursement, et, plus généralement, de défendre les intérêts des porteurs, notamment en engageant toutes procédures, par tous moyens de droit, pour atteindre ces objectifs ».

  102. Pièce n°1 : Statuts de l’AFIPER

  103. 13. L’AFIPER rassemble aujourd’hui environ 1 700 membres, porteurs au total d’environ 500 000 titres. Elle constitue ainsi la plus importante association dédiée à la défense des intérêts des porteurs d’emprunts russes.

  104. 14. De manière distincte de ses membres, l’AFIPER est porteuse de deux titres émis et/ou garantis par la RUSSIE sur le marché français, dont elle entend demander le remboursement, outre les intérêts dus.

  105. 15. De manière similaire, les dix membres de l’AFIPER co‐demandeurs à l’instance sont respectivement porteurs, notamment, de deux titres émis et/ou garantis par la RUSSIE sur le marché français. Chacun d’entre eux entend demander le remboursement de ces titres, outre les intérêts dus.

  106. 16. De manière générale, les titres des emprunts émis ou garantis par la RUSSIE sont essentiellement des titres au porteur. Dans certains cas, ils peuvent également être nominatifs, les questions de transfert et d’échange contre des titres au porteur (et inversement) étant alors encadrées par des règlements du Ministre des finances russe auxquels renvoient les notices des titres.

  107. 17. En tant que titres au porteur, les titres des emprunts russes sont conçus pour permettre à chaque porteur d’accéder facilement à sa rémunération. Les notices prévoient ainsi de manière générale le paiement des intérêts par trimestre ou par semestre, durant des périodes de quelques jours clairement indiquées sur chaque titre, et identiques pour chaque année. Les porteurs avaient ainsi simplement à se présenter aux mêmes dates chaque année dans l’une des banques mentionnées dans la notice pour percevoir le montant des intérêts.

  108. 18. Chaque titre est muni de coupons et il suffisait aux porteurs de remettre un coupon dans l’une des banques idoines afin de récupérer les intérêts correspondant à chaque échéance. Les titres sont également munis d’un talon permettant d’obtenir de nouveaux coupons, une fois la première série épuisée.

  109. ‐8‐

  110. II. DISCUSSION


  111. 19. Par assignation délivrée le 9 octobre 2012, l’AFIPER ainsi que ses dix membres demandeurs à l’instance (ci‐après, les “Demandeurs”) ont saisi le Tribunal afin de voir condamner la RUSSIE au paiement des sommes dues au titre du 5% 1906 et du 4,5% Nord‐ Donetz.

  112. 20. Par conclusions signifiées le 8 octobre 2013, la RUSSIE prétend que l’assignation serait nulle, que les demandes des Demandeurs seraient irrecevables pour quatre motifs et qu’elles seraient en outre mal fondées.

  113. 21. Après un premier développement consacré aux Titres dont les Demandeurs sont porteurs et à l’évaluation financière des sommes dues par la RUSSIE (A), il sera démontré que l’assignation délivrée par les Demandeurs est régulière (B) et que leurs demandes sont recevables (C) et bien fondées (D).

  114. A. LES TITRES DONT LES DEMANDEURS SONT PORTEURS ET LEUR EVALUATION

  115. Les Demandeurs sont porteurs, chacun, de deux titres émis et/ou garantis par l’Etat russe. De ce fait, les Demandeurs sont individuellement liés à la RUSSIE par autant de contrats de prêt, et sont donc créanciers de l’obligation de paiement du capital et des intérêts correspondant à chacun de ces prêts, conformément aux articles 1892 et suivants du Code civil.

  116. 22.

  117. 23. Les Demandeurs sont ainsi porteurs d’une obligation pour chacun des titres suivants :

  118. 1. L’emprunt à 5% émis par l’Etat russe en 1906

  119. 24. Les titres issus de cet emprunt (ci‐après, le “5% 1906”) sont les plus répandus parmi

  120. les porteurs français d’emprunts russes.

  121. 25. Le capital nominal de l’emprunt est particulièrement important, s’élevant à 843 750 000 roubles, ou 2 250 000 000 francs‐or, ou 1 818 000 000 reichsmarks, ou 1 075 500 000 florins des Pays‐Bas, ou 89 325 000 livres sterling, ou encore 2 133 000 000 couronnes d’Autriche‐Hongrie.

  122. 26. Cet emprunt a été émis en vertu de l’oukase impérial du 4/17 avril 1906 et a été divisé en 450 séries.

  123. 27. Les obligations issues du 5% 1906 dont les Demandeurs sont porteurs correspondent chacune à un montant de 187 roubles et 50 kopeks, soit 500 francs‐or.

  124. ‐9‐

  125. ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐

  126. Elles portent les références suivantes :

  127. AFIPER : obligation n°02686 issue de la série 177 ;

  128. Pièce n°2 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, AFIPER, série 177, n°02686

  129. M. Frédéric ARNAULT : obligation n°06219 issue de la série 44 ;

  130. Pièce n°3 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, F. Arnault, série 44, n°06219

  131. Mme Mauricette CORNAIRE : obligation n°01335 issue de la série 271 ;

  132. Pièce n°4 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, M. Cornaire, série 271, n°01335

  133. M. Hervé FANARA‐EBEL : obligation n°00551 issue de la série 36 ;

  134. Pièce n°5 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, H. Fanara‐Ebel, série 36, n°00551

  135. M. Michel GROSSET : obligation n°01360 issue de la série 89 :

  136. Pièce n°6 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, M. Grosset, série 89, n°01360

  137. Mme Christiane JACOB : obligation n°07729 issue de la série 22 ;

  138. Pièce n°7 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, Ch. Jacob, série 22, n°07729

  139. M. Christophe MAGNINO : obligation n°08878 issue de la série 15 ;

  140. Pièce n°8 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, Ch. Magnino, série 15, n°08878

  141. M. Patrick NEGRE : obligation n°00279 issue de la série 331 ;

  142. Pièce n°9 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, P. Nègre, série 331, n°00279

  143. M. Jean‐Yves MARTIN : obligation n°09119 issue de la série 202 ;

  144. Pièce n°10 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, J.Y. Martin, série 202, n°09119

  145. M. Louis‐Noël PERNOT : obligation n°08384 issue de la série 152 ;

  146. Pièce n°11 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, L.N. Pernot, série 152, n°08384

  147. M. Eric SANITAS : obligation n°04700 issue de la série 107.

  148. Pièce n°12 : Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, E. Sanitas, série 107, n°04700

  149. 2. La Garantie accordée par RUSSIE à l’Emprunt‐Obligations à 4,5% émis par la Compagnie du chemin de fer du Nord‐Donetz en 1908


  150. 28.

  151. 29. Aux termes des « Conditions de l’emprunt », « [l]e produit de cet emprunt sera affecté principalement à la construction des lignes de la 1ère série du réseau du Nord‐Donetz comprenant une ligne de chemin de fer de Lgoff à Olkhovaïa et divers embranchements sur Kramatorskaïa et dans le

  152. Cet emprunt (ci‐après, le “4,5% Nord‐Donetz”) a été souscrit par la Compagnie du chemin de fer du Nord‐Donetz pour un capital nominal de 87859875 roubles, soit 234 293 000 francs‐or, ou 9 266 288 livres sterling 3 shillings, 189 308 744 reichsmarks, ou encore 111 992 054 florins des Pays‐Bas.

  153. ‐ 10 ‐

  154. rayon de la station Amaznaïa du chemin de fer Catherine (embranchements de Sentianovka), lignes d’une longueur totale de 650 verstes ».

  155. 30. Les obligations issues du 4,5% Nord‐Donetz dont les Demandeurs sont porteurs correspondent chacune à un montant de 187 roubles et 50 kopeks, soit 500 francs‐or.

  156. 31.

  157. ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐

  158. Elles portent les références suivantes :

  159. AFIPER : obligation n°383306 ;

  160. Pièce n°13 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, AFIPER, n°383306

  161. M. Frédéric ARNAULT : obligation n°095756 ;

  162. Pièce n°14 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, F. Arnault, n°095756

  163. Mme Mauricette CORNAIRE : obligation n°322654 ;

  164. Pièce n°15 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, M. Cornaire, n°322654

  165. M. Hervé FANARA‐EBEL : obligation n°150855 ;

  166. Pièce n°16 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, H. Fanara‐Ebel, n°150855

  167. M. Michel GROSSET : obligation n°383307 :

  168. Pièce n°17 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, M. Grosset, n°383307

  169. Mme Christiane JACOB : obligation n°215968 ;

  170. Pièce n°18 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt, à 4 1⁄2 %, 1908, Ch. Jacob, n°215968

  171. M. Christophe MAGNINO : obligation n°262430 ;

  172. Pièce n°19 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, Ch. Magnino, n°262430

  173. M. Patrick NEGRE : obligation n°095753 ;

  174. Pièce n°20 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, P. Nègre, n°095753

  175. M. Jean‐Yves MARTIN : obligation n°224970 ;

  176. Pièce n°21 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, J.Y. Martin, n°224970

  177. M. Louis‐Noël PERNOT : obligation n°068318 ;

  178. Pièce n°22 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, L.N. Pernot, n°068318

  179. M. Eric SANITAS : obligation n°242527.

  180. Pièce n°23 : Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, E. Sanitas, n°242527

  181. Ainsi que l’indique la notice, l’ensemble des obligations émises au titre de cet emprunt sont garanties par « la totalité de l’avoir de la Compagnie du chemin de fer du Nord‐ Donetz ». Par ailleurs, « la garantie absolue du Gouvernement Impérial de Russie pour le paiement de 4 1⁄2 % d’intérêt et de l’amortissement correspondant au terme de la concession » est accordée aux obligations au titre de l’emprunt « à partir du jour de leur émission jusqu’au terme de la concession ».

  182. ‐ 11 ‐

  183. 32. Ces obligations sont « à tout jamais libres de tous impôts russes présents ou à venir », tant en ce qui concerne le paiement des coupons que le remboursement des titres sortis au tirage, cette exemption incluant expressément la taxe de 5% sur le revenu des valeurs mobilières. En outre, la Compagnie s’engage à prendre à sa charge « les impôts présents ou futurs dont ces titres seraient passibles à l’étranger ».

  184. 33. Dans les développements qui suivent, il sera fait référence aux “Emprunts” pour désigner les deux emprunts réalisés par l’émission des deux séries de titres visées par l’assignation, ceux détenus par les Demandeurs étant eux‐mêmes désignés par l’expression les “Titres”.

  185. 3. Evaluation des Titres

  186. 34. L’AFIPER a fait établir une évaluation des Emprunts par une société d’actuariat

  187. conseil.

  188. Les caractéristiques des Emprunts et les méthodologies retenues pour les évaluations de chacun de ces Titres sont les suivantes :

  189. a. Pour le 5% 1906

  190. 35. La date d’émission de cet emprunt est le 1er mai 1906. Son échéance était prévue le 1er mai 1956. Il porte intérêt à hauteur de 5%, par coupons semestriels, payables le 1er mai et le 1er novembre de chaque année. Les amortissements et intérêts ont été réglés jusqu’en 1918 inclus, pour un nominal par obligation allant de 500 à 5 000 francs‐or.

  191. 36. La valeur des flux de l’emprunt (capital et intérêts) a été calculée sur la base d’un titre de 500 francs de 1906, les intérêts ont été calculés de manière simple sans capitalisation, le tout exprimé en napoléons à partir de la parité de l’époque (500 francs de l’époque correspondaient en effet à 25 napoléons, le napoléon correspondant à une pièce de 20 francs‐ or). L’emprunt a d’ailleurs été souscrit sur la base d’une référence à l’or, la notice de l’emprunt soulignant que « le rouble cont[ient], suivant la loi monétaire du 7 juin 1899, 0,774234 grammes d’or fin ».

  192. 37. A l’issue de la date d’échéance prévue de l’emprunt, le 1er janvier 1956, le capital a continué à porter intérêts au taux conventionnel de 5%, dès lors qu’il est fixé par écrit, conformément à l’article 1907 du Code civil.

  193. 38. La valeur des flux de l’emprunt (capital et intérêts) a donc été calculée de manière continue, du 1er janvier 1919 au 31 décembre 2011. Elle est exprimée en napoléons, et convertie en équivalent euros au 31 décembre 2011.

  194. ‐ 12 ‐

  195. 39. Ainsi, au 31 décembre 2011, la somme du capital et des intérêts engendrés par une obligation de 500 francs‐or de l’époque de l’emprunt émis en France par la RUSSIE en 1906 est de 141,35 napoléons, soit 35 890 euros.

  196. Pièce n°24 : Anteeo, Etude sur les valeurs d’un emprunt russe (5% 1906), 7 juillet 2012

  197. 40. Dès lors, chacun des Demandeurs entend solliciter la condamnation de la Défenderesse au paiement, pour chaque obligation de 500 francs‐or de l’emprunt 5% 1906, de la contre‐valeur en euros au jour du paiement de 25 napoléons en principal et des intérêts (exprimés en napoléons) simples de 5% calculés depuis le 1er janvier 1919 (soit 116,35 napoléons à la date du 31 décembre 2011), outre la capitalisation des intérêts à compter de l’assignation, conformément à l’article 1154 du Code civil.

  198. b. Pour le 4,5% Nord‐Donetz

  199. 41. L’évaluation des flux de cet emprunt a été établie selon les mêmes méthodologies que pour le précédent.

  200. 42. Les caractéristiques de l’emprunt 4,5% Nord‐Donetz sont proches de l’emprunt de 1906 : il a été émis le 4 juin 1908, pour un nominal de 500 francs‐or par obligation, portant intérêt au taux de 4,5% avec rémunération par coupons semestriels, payables le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année. Les amortissements et intérêts ont également été réglés jusqu’en 1918 inclus.

  201. 43. La durée de l’emprunt est en revanche sensiblement différente, son échéance ayant été initialement prévue au 1er juillet 1989.

  202. 44. La valeur des flux de l’emprunt (capital et intérêts) a dès lors été calculée sur la base d’un titre de 500 francs‐or de 1908, les intérêts ont été calculés de manière simple sans capitalisation, à partir de la parité de l’époque (rappelons que 500 francs‐or correspondaient à 25 napoléons, le napoléon correspondant à une pièce de 20 francs‐or). L’emprunt a d’ailleurs été souscrit sur la base d’une référence à l’or, la notice de l’emprunt soulignant que « 1 rouble = 1/15 d’impériale ».

  203. 45. L’impériale constituait depuis un oukase du 3 janvier 1897 une pièce de 15 roubles – et non plus de 10 roubles comme jusqu’alors –, ce texte ayant en outre précisé que le rouble contenait 17,424 dolis2 d’or fin, soit 0,774 234 grammes.

  204. 46. Tout comme pour l’emprunt 5% 1906, à l’issue de la date d’échéance prévue de l’emprunt 4,5% Nord‐Donetz, le 1er juillet 1989, le capital a continué à porter intérêts au taux conventionnel de 4,5%, dès lors qu’il est fixé par écrit, conformément à l’article 1907 du Code civil.

  205. 2 L’unité de poids en RUSSIE était la livre russe, contenant 96 zolotniks ; un zolotnik correspondant lui‐même à 96 dolis, soit 4,266 grammes.


  206. ‐ 13 ‐

  207. 47. La valeur des flux de l’emprunt (capital et intérêts) a donc été calculée de manière continue, du 1er janvier 1919 au 31 décembre 2011. Elle est exprimée en napoléons, et convertie en équivalent euros au 31 décembre 2011.

  208. 48. Ainsi, au 31 décembre 2011, la somme du capital et des intérêts engendrés par une obligation de 500 francs‐or de l’emprunt 4,5% Nord‐Donetz est de 130,09 napoléons, soit 33 031 euros.

  209. Pièce n°25 : Anteeo, Etude sur les valeurs d’un emprunt russe (4,5% Nord‐Donetz), 7 juillet 2012

  210. 49. Dès lors, chacun des Demandeurs entend solliciter la condamnation de la Défenderesse au paiement, pour chaque obligation de 500 francs‐or de l’emprunt 4,5% Nord‐ Donetz, de la contre‐valeur en euros au jour du paiement de 25 napoléons en principal et des intérêts (exprimés en napoléons) simples de 4,5% calculés depuis le 1er janvier 1919 (soit 105,09 napoléons à la date du 31 décembre 2011), outre la capitalisation des intérêts à compter de l’assignation, conformément à l’article 1154 du Code civil.

  211. 50. La RUSSIE n’apporte aucune critique sérieuse à la méthode d’évaluation utilisée puisqu’elle se contente d’affirmer que celle‐ci serait « dénuée de pertinence » au seul motif que « les Deux Emprunts sont libellés en roubles de 1906 pour l’un et de 1908 pour l’autre et pouvaient, le cas échéant, être payés dans d’autres monnaies notamment en anciens francs. Les Deux Emprunts n’étaient en aucun cas payables en or», sans suggérer un quelconque mode alternatif d’évaluation (Conclusions de la RUSSIE, p. 20).

  212. 51. Or, on relèvera que les Demandeurs n’ont jamais prétendu que les Emprunts seraient payables en or, comme feint de le croire la RUSSIE. En réalité, les Demandeurs ont fait procéder à une évaluation des sommes dues actualisées ce jour en se référant au cours de l’or, puisque les Emprunts sont libellés, souscrits et remboursables en francs‐or.

  213. 52. On rappellera à cet égard que le franc de 1906 et de 1908 était le franc‐germinal, appelé également franc‐or – dont la convertibilité avec l’or était fixée par la loi du 17 Germinal An XI (7 avril 1803)3 – et que les intérêts et le remboursement du capital sont payables dans cette monnaie, que la RUSSIE appelle « ancien francs », sans doute pour faire oublier la convertibilité du franc de l’époque avec l’or.

  214. 53. Le Tribunal constatera donc que l’évaluation des Titres des Demandeurs est sérieuse et que la preuve du montant de la créance est rapportée.

  215. 54. Après plus d’un siècle de défaut, la RUSSIE, qui ne conteste pas n’avoir jamais procédé au remboursement des sommes dont elle est redevable au titre des Emprunts, croit pouvoir échapper à ses obligations en multipliant les moyens de défense, invoquant successivement une exception de nullité, quatre fins de non‐recevoir et trois moyens de défense au fond.

  216. 55. Aucun de ces arguments ne saurait prospérer.

  217. 3 Voir notamment : http://fr.wikipedia.org/wiki/Franc_fran%C3%A7ais ‐ 14 ‐


  218. 56.

  219. 57.

  220. B. L’ASSIGNATION EST PARFAITEMENT REGULIERE

  221. Par conclusions signifiées le 8 octobre 2013, la RUSSIE demande au Tribunal de déclarer nulle et de nul effet l’assignation délivrée par les Demandeurs au motif que l’AFIPER ne justifierait pas « de la possibilité d’ester valablement en justice pour le compte de tiers. »

  222. Cette demande sera purement et simplement écartée aux motifs que :

  223. conformément à l’article 771, 1° du Code de procédure civile, la RUSSIE est irrecevable à soulever une exception de nullité devant le Tribunal postérieurement à la désignation du juge de la mise en état, seul compétent pour statuer ;

  224. par conclusions d’incident signifiées le 6 février 2014, la RUSSIE s’est désistée « de sa demande tirée de la nullité de l’assignation à l’égard des 10 demandeurs personnes physiques » ;

  225. Conclusions d’incident de la RUSSIE signifiées le 6 février 2014

  226. en tout état de cause, chacun des 10 demandeurs personne physique a régulièrement donné mandat à l’AFIPER d’agir pour leur compte respectif devant tout tribunal afin d’obtenir le paiement par la RUSSIE des sommes qui leur sont dues, et ce en parfaite conformité avec l’article 1985 alinéa 1er du Code civil et les statuts de l’AFIPER.

  227. Pièce n°1 : Statuts de l’AFIPER Pièce n°28 : Mandats donnés à l’AFIPER le 1er septembre 2012.

  228. LES DEMANDES SONT RECEVABLES

  229. Pour tenter d’échapper au paiement des sommes dont elle est redevable, la RUSSIE soulève pas moins de quatre fins de non‐recevoir.

  230. C.

  231. 58.

  232. 59. Elle prétend ainsi que (i) la RUSSIE bénéficierait de l’immunité de juridiction, (ii) que les Demandeurs n’auraient pas intérêt à agir, (iii) qu’un traité conclu entre la France et la RUSSIE priverait les Demandeurs de toute action et (iv) que les titres des Demandeurs seraient prescrits.

  233. 60. Aucun de ces arguments ne résiste à l’analyse.

  234. ‐ 15 ‐

  235. 1. La RUSSIE ne peut opposer aucune immunité de juridiction

  236. 61. La RUSSIE pense pouvoir opposer aux Demandeurs son immunité de juridiction aux motifs que :

  237. 62.

  238. à l’époque de l’émission des Emprunts, elle bénéficiait d’une immunité de juridiction absolue, et qu’en conséquence « les Demandeurs ne sauraient exercer un droit d’action qui n’était pas reconnu aux porteurs des titres devant les juridictions françaises à l’époque où les Deux Emprunts ont été souscrits et doivent être déclarés irrecevables à agir » (Conclusions de la RUSSIE, p.9) ;

  239. en tout état de cause, « il résulte[rait] de la jurisprudence que l’immunité de juridiction doit être reconnue non seulement pour les actes de puissance publique constituant un exercice par l’Etat de sa souveraineté, mais aussi pour ceux accomplis dans l’intérêt d’un service public » (Conclusions de la RUSSIE, p.9).

  240. Nous reviendrons brièvement sur la notion d’immunité de juridiction (a), avant de démontrer qu’il s’agit d’un simple moyen de procédure qui s’apprécie, non pas au jour de l’acte donnant lieu au litige, mais au jour où le juge statue (b). Nous verrons ensuite qu’en l’espèce, la RUSSIE ne peut valablement invoquer son immunité de juridiction dès lors que les actes donnant lieu au litige sont des transactions commerciales (c).

  241. a. La notion d’immunité de juridiction : d’une immunité absolue à une immunité relative ne portant que sur les actes relevant de l’exercice de la souveraineté


  242. 63. Fondée sur les principes d’indépendance et d’égalité des Etats, l’immunité de juridiction n’est fondée sur aucun texte en droit français ; c’est la jurisprudence qui en a fixé progressivement les contours, au regard du droit international coutumier.

  243. 64. Ainsi, la jurisprudence considérait autrefois qu’un Etat étranger devait bénéficier d’une immunité de juridiction absolue indépendamment de la nature des actes accomplis en France.

  244. 65. Néanmoins, les Etats intervenant de plus en plus dans le domaine économique, les juridictions françaises, à l’instar de la pratique internationale, ont cessé d’accorder un tel privilège aux Etats étrangers et la jurisprudence s’est orientée, à compter d’un arrêt de la Cour de cassation du 19 février 1929, vers la reconnaissance d’une immunité de juridiction aux seuls actes qui manifestent la souveraineté de l’Etat étranger, les actes d’autorité (ou de jure imperii), par opposition aux actes de gestion (ou de jure gestionis) qui n’en bénéficient pas.

  245. Pièce n°29 : Ch. req., 19 février 1929, URSS c/ Association France‐Export

  246. 66. De la théorie de l’immunité de juridiction absolue, la Cour de cassation a ainsi évolué depuis de longues décennies vers la théorie de l’immunité de juridiction relative.

  247. ‐ 16 ‐

  248. Afin de préciser les contours de cette acception nouvelle de l’immunité de juridiction, la Cour de cassation s’est inspirée des critères élaborés par le droit administratif interne français en matière de délimitation des frontières de compétence entre les tribunaux administratifs et les tribunaux judiciaires4. L’arrêt du 25 février 1969, dont l’attendu de principe sera ensuite systématiquement repris, énonce ainsi que :

  249. « Les Etats étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l’intérêt d’un service public. »

  250. Pièce n°32 : Civ. 1ère, 25 février 1969, Sté Levant Express Transport c/ Chemin de fer du gouvernement iranien

  251. 67.

  252. C’est donc un double critère qui a été retenu :

  253. l’un, le critère dit objectif ou formaliste, lorsque l’acte constitue un acte de puissance publique, en particulier lorsqu’il s’agit d’une décision d’autorité de l’Etat (nationalisation, expropriation, refus d’autorisation administrative...) ou lorsque l’acte comprend des clauses exorbitantes du droit commun ;

  254. l’autre, le critère dit finaliste, beaucoup plus rarement appliqué, lorsque l’acte a été accompli dans l’intérêt d’un service public, c’est‐à‐dire que l’acte participe directement à l’exercice d’un service public (accident de parachutistes dans le cadre d’un entraînement de l’armée américaine, conservation du service public de distribution de matières premières...).

  255. Depuis un arrêt du 20 juin 2003, la Chambre mixte de la Cour de cassation a durci ses critères de distinction en adoptant l’attendu de principe suivant :

  256. « les Etats étrangers et les organismes qui en constituent lʹémanation ne bénéficient de lʹimmunité de juridiction quʹautant que lʹacte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à lʹexercice de la souveraineté de ces Etats et nʹest donc pas un acte de gestion. »

  257. Pièce n°33 : Ch. mixte, 20 juin 2003, n°00‐45.629, Bull. n°4

  258. 68. Le critère désormais retenu par les tribunaux français pour accorder l’immunité de juridiction à un acte accompli par un Etat étranger est donc celui de « l’exercice de la souveraineté », ce qui est bien plus restrictif que « l’exercice de prérogatives de puissance publique » ou « l’accomplissement d’un service public ».5

  259. Pièce n°34 : Civ. 1ère., 20 septembre 2006, n°05‐14199, Bull. n°411 Pièce n°35 : Civ. 1ère., 19 novembre 2008, n°07‐10570, Bull. n°266 Pièce n°36 : Soc., 31 mai 2011, n°10‐24751, Pièce n°37 : Soc., 28 février 2012, n°11‐18952, Bull. n°77

  260. 4 S. El Sawah, Les immunités des Etats et des organisations internationales, 2012, Larcier 2012, p. 124 (Pièce n°30) ; D. Bureau & H. Muir Watt, Droit international privé, 2010, p. 109 §90 (Pièce n°31)

  261. 5 S. El Sawah, Les immunités des Etats et des organisations internationales, Larcier 2012, p. 125 (Pièce n°30)

  262. ‐ 17 ‐

  263. 69. A cet égard, il convient de préciser que cette jurisprudence doit être appliquée à la lumière du droit international coutumier, dont la Cour de cassation, à la suite de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci‐après, la “CEDH”), a jugé, par trois arrêts du 28 mars 2013, qu’il était reflété par la Convention des Nations‐Unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelle des Etats et de leurs biens (ci‐après, la “Convention”).

  264. Pièce n°38 : Civ. 1ère, 28 mars 2013, n°11‐10450 ; n°11‐13.323 et n°10‐25.938, Bull. n°1031, 1032 et 1033 Pièce n°39 : CEDH, 23 mars 2010, Cudak c. Lituanie, n°15869/02 Pièce n°40 : CEDH, 29 juin 2011, Sabeh el Leil c. France, n°34869/05

  265. 70. Comme a pu le souligner une doctrine influente, la Convention est « le résultat d’une analyse détaillée de la pratique judiciaire internationale et nationale, des différentes législations nationales, de la pratique conventionnelle des Etats ainsi que des conventions internationales et des travaux de codification entrepris par les organismes intergouvernementaux ».

  266. Pièce n°41 : Hafner et Lange, « La Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens », AFDI 2004, p.62

  267. 71. C’est également l’avis du gouvernement français qui a rappelé, à l’occasion de la présentation du projet de ratification devant le Sénat, que la Convention « correspond dans une très large mesure à la pratique suivie par la France en la matière. En particulier, elle repose sur la théorie de l’immunité de juridiction restreinte de l’État, fondée sur la distinction entre les actes d’autorité (jure imperii) et les actes de gestion (jure gestionis), telle qu’elle est consacrée par la Cour de cassation ».

  268. Pièce n°42 : Projet de loi de ratification de la Convention de 2004 devant le Sénat

  269. Or, conformément à l’article 10.1 de la Convention :«Si un État effectue, avec une personne physique ou morale étrangère, une transaction commerciale et si, en vertu des règles applicables de droit international privé, les contestations relatives à cette transaction commerciale relèvent de la juridiction d’un tribunal d’un autre État, l’État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant ce tribunal dans une procédure découlant de ladite transaction » (gras ajouté).Pièce n°43 : Convention des Nations Unies de 2004

  270. A cet égard, aux termes de l’article 2.1 c) ii. de la Convention, l’expression

  271. « transaction commerciale » désigne « tout contrat de prêt ou autre transaction de nature financière, y compris toute obligation de garantie ou d’indemnisation en rapport avec tel contrat de prêt ou telle transaction » (gras ajouté).

  272. Pièce n°43 : Convention des Nations Unies de 2004

  273. ‐ 18 ‐

  274. 74. Par ailleurs, selon l’article 2.2 de la Convention,

  275. « pour déterminer si un contrat ou une transaction est une transaction commerciale au sens de l’alinéa c) du paragraphe 1 [précité], il convient de tenir compte, en premier lieu, de la nature du contrat ou de la transaction, mais il faut aussi prendre en considération son but si les parties au contrat ou la transaction en sont ainsi convenues, ou si, dans la pratique de l’Etat du for, ce but est pertinent pour déterminer la nature non commerciale du contrat ou de la transaction ».

  276. Pièce n°43 : Convention des Nations Unies de 2004

  277. b. Le régime de l’immunité de juridiction doit être apprécié au jour où le juge statue

  278. 75. La RUSSIE voudrait voir appliquer à la présente instance la jurisprudence qui prévalait lors de la souscription des Emprunts – qui reconnaissait une l’immunité de juridiction absolue aux Etats étrangers – au motif que « les souscripteurs [auraient] accepté les risques » et que « les Demandeurs ne sauraient exercer un droit d’action qui n’était pas reconnu aux porteurs des titres. »

  279. Cet argument n’est pas sérieux.

  280. En effet, on rappellera en premier lieu que nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis

  281. à une jurisprudence figée et qu’en conséquence un revirement de jurisprudence s’applique nécessairement à toutes les instances en cours, même si les faits du litige sont antérieurs à ce revirement.

  282. La Cour de cassation a ainsi très clairement indiqué que :

  283. « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée ».

  284. Pièce n°44 : Civ. 1ère, 9 octobre 2001, n°00‐14564, Bull. n°249

  285. 78. En second lieu, les juridictions françaises, européennes ou internationales jugent unanimement que les règles relatives à l’étendue de l’immunité de juridiction sont des lois de procédure qui sont d’application immédiate :

  286. ‐ selon la CEDH, l’immunité est un « obstacle procédural » ;Pièce n°45 : CEDH, 21 nov. 2001, Al‐Adsani c. Royaume‐Uni

  287. ‐ selon la Cour internationale de justice (ci‐après, la “CIJ”), « le droit de lʹimmunité revêt un caractère essentiellement procédural » ;Pièce n°46 : CIJ, 3 févr. 2012, Allemagne c/ Italie


  288. ‐ 19 ‐

  289. ‐ selon la Cour de cassation enfin, l’immunité de juridiction constitue une fin de non‐ recevoir. En « privant de tout pouvoir le for saisi », l’immunité ne constitue donc pas un moyen de défense au fond (article 71 du Code de procédure civile) mais un moyen de défense procédural qui paralyse la demande de l’adversaire (article 122 du Code de procédure civile).

  290. Pièce n°47 : Civ. 1ère, 9 mars 2011, pourvoi n°10‐10044, Bull. n°54 Or, il est constant que « les lois et décrets nouveaux relatifs à la procédure [...] sont

  291. immédiatement applicables aux instances en cours ».

  292. Pièce n°48 : Civ. 2ème, 30 avril 2003, n°00‐14333, Bull. n°123

  293. 79. Force est donc de constater que, contrairement à ce que prétend la RUSSIE, l’étendue de l’immunité de juridiction doit s’apprécier au jour où le juge statue.

  294. 80. Cela est d’ailleurs conforme à la jurisprudence du Tribunal de céans qui, par deux décisions rendues le 3 décembre 2003, a rappelé que « l’immunité de juridiction doit s’apprécier à la date à laquelle le juge statue ».

  295. Pièce adverse n°14 : TGI Paris, 3 décembre 2003, n°02/10283 Pièce adverse n°15 : TGI Paris, 3 décembre 2003, n°02/13298

  296. 81. Le moyen tiré de l’existence d’une immunité absolue au jour de la souscription des Emprunts et de l’émission de la Garantie est donc inopérant. Il sera écarté.

  297. c. Le 5% 1906 et la Garantie sont, par définition, des transactions commerciales qui ne participent ni par leur nature, ni par leur finalité, à l’exercice de la souveraineté de la RUSSIE

  298. 82. Comme il a été indiqué supra, pour déterminer si un Etat étranger peut se prévaloir de son immunité de juridiction conformément au droit international coutumier, les juridictions françaises doivent :

  299. (i) vérifier si le contrat litigieux entre dans la définition des transactions commerciales ;

  300. (ii) le cas échéant, tenir compte de la nature du contrat ;

  301. (iii) si cela est pertinent dans la pratique française, prendre en considération le butdu contrat.

  302. 83. Or, le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz sont, par définition, des transactions commerciales au sens du droit international coutumier (i), qui ne participent aucunement, par leur nature, à l’exercice de la souveraineté de l’Etat russe (ii) et dont le but n’est ni pertinent, ni opérant, sauf à revenir à un principe d’immunité absolue (iii).


  303. ‐ 20 ‐

  304. i. Le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz sont, par définition, des transactions commerciales

  305. Il n’est pas contesté que :

  306. le 5% 1906, par lequel la RUSSIE a emprunté sur le marché français au taux d’intérêt de 5%, est un contrat de prêt ;

  307. la « garantie absolue » accordé par l’Etat russe aux investisseurs du 4,5% Nord‐Donetz est une obligation de garantie.


  308. 84.

  309. 85.

  310. 86. Les contrats de prêt et les garanties sont des contrats courants du commerce aussi bien national qu’international, qui sont majoritairement conclus par des opérateurs privés.

  311. 87. Ils sont donc totalement étrangers par leur nature à l’exercice de la souveraineté des Etats. En souscrivant un emprunt ou en accordant une garantie, les Etats ne font que se comporter comme n’importe quel opérateur privé.

  312. 88. C’est d’ailleurs ce que jugent depuis longtemps les juridictions françaises, lesquelles, sous l’empire de la jurisprudence antérieure à 2003 (voir supra § 63 et s.), pourtant plus favorable à la reconnaissance de l’immunité de juridiction des Etats étrangers, considéraient déjà que les avals et garanties accordées par les Etats étrangers constituent des actes de commerce qui ne procèdent pas de l’exercice de leur souveraineté ou de la puissance publique.

  313. Pièce n°49 : CA Rouen, 10 février 1965 Pièce n°50 : Civ. 1ère, 18 novembre 1986, n°85‐11404, Bull. n°267

  314. 89. C’est également ce que souligne une doctrine particulièrement autorisée :

  315. « Concernant les transactions de nature financière, la jurisprudence disponible en la matière est sans ambiguïté. Parmi les activités considérées comme entrant dans cette catégorie (et donc non incluse dans le champ de l’immunité des Etats) on peut citer la caution donnée par un Etat étranger en garantie d’un prêt contracté par l’association des agriculteurs exportateurs dudit Etat auprès d’une banque d’un autre Etat [jurisprudence finlandaise], les emprunts de l’Etat ou de sa banque centrale émis sur le marché financier international et l’ouverture

  316. ‐ ‐

  317. En conséquence, tant le 5% 1906 que la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz sont des transactions commerciales au sens du droit international coutumier, tel que reflété par la Convention, à l’encontre desquels les Etats étrangers ne peuvent pas valablement opposer leur immunité de juridiction.

  318. ii. Le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz ne participent pas par leur nature à l’exercice de la souveraineté de la RUSSIE


  319. ‐ 21 ‐

  320. d’un dépôt à terme [jurisprudence suisse]. S’agissant de l’émission d’obligations garanties par un gouvernement étranger, le tribunal du district de Tokyo a posé le principe que :

  321. “Dans la société mondiale d’aujourd’hui, l’émission d’obligations est un exemple d’activité économique largement et habituellement effectuée comme une transaction financière internationale. On ne saurait donc dire qu’un Etat étranger ou son agence, quand ils interviennent en qualité de partenaires dans des transactions commerciales, puissent se prévaloir d’une immunité souveraine ni que cette immunité soit reconnue par le droit international coutumier” ».

  322. Pièce n°51 : Hafner, Kohen et Breau, La pratique des Etats concernant les immunités des Etats, 2006, p. 41

  323. 90.

  324. 91. A cet égard, elle soutient qu’en l’espèce, le 5% 1906 et le 4,5% Nord‐Donetz contiendraient les clauses d’exemption fiscale et la clause exorbitante suivantes :

  325. Néanmoins, la RUSSIE persiste à prétendre que l’immunité de juridiction devrait être reconnue pour ses actes d’emprunt et de garantie, en ce qu’ils constitueraient un exercice par l’Etat de sa souveraineté.

  326. ‐ ‐

  327. pour le 5 % 1906, « les obligations de cet emprunt et leurs coupons sont exonérés à tout jamais de tout impôt russe » ;

  328. pour le 4,5% Nord‐Donetz, « le paiement des coupons et leur remboursement des titres sortis au tirage s’effectueront à tout jamais libres de tous impôts russes présents ou à venir » d’une part, et « la Compagnie du chemin de fer du Nord‐Donetz prend en charge les impôts présents ou futurs dont ces titres seraient passibles à l’étranger ».

  329. la clause dite de garantie du 5% 1906 qui prévoit que les titres pourront servir à payer les éventuelles dettes du porteur à l’égard de l’Etat russe au titre d’un contrat de fourniture avec l’Etat ou des droits de douane et d’accise.

  330. 92.

  331. 93. On rappellera tout d’abord que, depuis 2003, les juridictions françaises, tout comme le droit international coutumier, n’accordent l’immunité à un Etat étranger que si le contrat litigieux participe à l’exercice de la souveraineté.

  332. La présence ou non de clauses d’exemption fiscale ou exorbitante dans les contrats, qui caractérisait les actes de puissance publique selon l’ancienne jurisprudence, est donc devenue inopérante.

  333. 94. En tout état cause, pour les seuls besoins de la discussion, si l’on devait estimer que ce critère demeure pertinent, il est frappant de constater que la jurisprudence en matière interne sur laquelle la RUSSIE s’appuie pour affirmer que les clauses qu’elle cite caractériseraient des actes de puissance publique est, elle aussi, obsolète.

  334. A en croire l’Etat russe, la présence de ces clauses remettrait en cause la nature commerciale des Emprunts et de la Garantie, ce qu’auraient jugé le Conseil d’Etat par un arrêt du 15 février 1935 et le Tribunal des conflits par un arrêt du 20 avril 1959.


  335. ‐ 22 ‐

  336. 95. En effet, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat jugent aujourd’hui que les clauses des contrats de prêt conclus avec des particuliers par lesquelles une personne publique s’engage à recourir (ou non) à l’impôt ne sont pas des clauses exorbitantes conférant un caractère administratif au contrat.

  337. La Cour de cassation a ainsi clairement indiqué qu’une telle clause n’a pas « pour objet de conférer à lʹune [des parties] un avantage de nature différente que celui résultant de toute garantie ou sûreté de droit privé quʹun prêteur est en droit dʹexiger en raison de son efficacité ».

  338. Pièce n°52 : Civ. 1ère, 18 février 1992, 90‐18826, Bull. n°59

  339. Le Conseil d’Etat avait déjà adopté la même solution dans une espèce tout à fait similaire en jugeant qu’un tel engagement « ne comporte aucune clause exorbitante de droit commun. »

  340. Pièce n°53 : CE, 6 décembre 1989, Req. n° 74140

  341. 96. Les deux juridictions suprêmes des ordres administratif et judiciaire s’entendent donc pour prendre en compte l’équilibre du contrat et vérifient si celui‐ci confère un avantage de nature différente.

  342. 97. L’application des critères inspirés du droit administratif français n’est donc d’aucun secours à la RUSSIE.

  343. 98. Par ailleurs, en matière internationale, les clauses d’exemption fiscale sont extrêmement courantes et figurent dans la plupart des clauses‐types adoptées par diverses institutions bancaires publiques et privées ainsi que par des organismes de coopération pour le développement, sans pour autant que l’on considère que l’Etat exerce sa souveraineté à chaque fois qu’il les adopte.

  344. On la trouve notamment dans les Accords de prêt conclus par la BIRD avec un de ses Etats membres6, ou encore dans les clauses‐types de l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR)7.

  345. 6 Section 8.01 (a) : « le remboursement du principal du Prêt et le paiement des intérêts et commissions y afférents sont exonérés de tout impôt et effectués nets de toute retenue dʹimpôts levés par lʹÉtat membre de la Banque qui est lʹEmprunteur ou le Garant, ou exigibles sur son territoire ». Banque internationale pour la reconstruction et le développement, Conditions générales applicables aux Accords de prêt et de garantie pour les Prêts à Spread fixe, 1er septembre 1999, disponible à http://siteresources.worldbank.org/INTLAWJUSTICE/Resources/IBRD_FSL_French.pdf

  346. 7 Article 10 : « L’Emprunteur effectue chaque remboursement dû à un tiers dans le cadre de la présente Convention, sans déduction ou contrepartie aucune, y compris entre autres, sous forme d’impôts, à moins que la loi n’exige que l’Emprunteur effectue ce remboursement contre déduction ou retenue d’impôts à la source. Au cas où il est appliqué à l’emprunteur des déductions au titre d’impôts, ou d’autres retenues sur des sommes dues par l’Emprunteur à des tiers dans le cadre de la Convention, celui‐ci effectue ces paiements supplémentaires afin de s’assurer qu’après ces déductions et retenues, ces tiers perçoivent (en dehors de toute obligation liée à ces déductions et retenues autres que les impôts dus au titre de leur Revenu global net propre) une somme équivalente au montant qu’ils auraient perçu si ces retenues et déductions n’avaient pas été effectuées.». Institut


  347. ‐ 23 ‐

  348. 99. Il s’agit là d’un simple mécanisme d’incitation, employé de longue date par les Etats, qui vise à rassurer le prêteur qui pourrait craindre que l’Etat emprunteur soumette le contrat à une imposition excessive qui réduirait à néant le produit de son investissement. La clause d’exemption fiscale agit ainsi comme une clause dite « de stabilisation » par laquelle il s’engage à ne pas modifier sa loi d’une façon qui serait défavorable à l’investisseur.

  349. Elle ne confère donc aucune prérogative exorbitante à l’Etat étranger puisqu’elle permet, au contraire, d’assurer un équilibre entre les parties. C’est précisément le contraire d’une clause exorbitante.

  350. 100. Pour toutes ces raisons, la présence de ces clauses – et ce quelle que soit la qualification retenue en droit administratif interne – ne permet en aucune manière de juger, en matière internationale, que la RUSSIE, qui n’a effectué aucun acte d’autorité (de jure imperii), serait intervenue au contrat dans l’exercice de sa souveraineté ou de ses prérogatives de puissance publique. Au contraire, ses clauses caractérisent la volonté de l’Etat de se comporter comme n’importe quel opérateur privé, en renonçant à exercer sa souveraineté ou ses prérogatives de puissance publique dans l’exécution des contrats.

  351. 101. Dans ces conditions, le Tribunal constatera que la présence des clauses visées par la RUSSIE dans les Emprunts ne démontre aucunement l’exercice par cette dernière de sa souveraineté, ni même de prérogatives de puissance publique, et qu’elle ne peut donc pas valablement invoquer son immunité de juridiction.

  352. iii. Le 5% 1906 et la Garantie du 4,5% Nord‐Donetz ne participent pas par leur finalité à l’exercice de la souveraineté de la RUSSIE

  353. ‐ En droit, la recherche du but ultime de l’acte litigieux n’est pas pertinente

  354. 102. Conformément au droit international coutumier tel que reflété par la Convention, le but du contrat litigieux ne peut être pris en considération que si cela est pertinent dans la pratique française.

  355. 103. Or, comme le rappelle la doctrine, « les tribunaux français emploient principalement le critère de la nature de l’acte » (gras ajouté), ce qui est d’ailleurs parfaitement conforme à la pratique des autres pays européens :

  356. « L’immense majorité des cas disponibles montre clairement que les tribunaux des pays européens privilégient le critère de la nature à celui du but. Ainsi, la nature de l’activité litigieuse est le critère décisif retenu par les tribunaux autrichiens, belges, allemands, néerlandais, norvégiens, suisses, britanniques et français » (gras ajouté).

  357. des Nations Unies pour la formation et la recherche, Modèle de Convention de prêt, disponible à : http://www2.unitar.org/dfm/assessmentreport2002/dakar_week1/Materials/MODELE_DE_CONVENTION.pd f


  358. ‐ 24 ‐

  359. Pièce n°51 : Hafner, Kohen et Breau, La pratique des Etats concernant les immunités des Etats, 2006, p. 32 Pièce n°41 : Hafner et Lange, « La Convention des Nations‐Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens », AFDI 2004, p.62

  360. 104. Le critère du but, tel qu’entendu par la jurisprudence depuis 1969 (voir supra §66), est très restrictif ; il ne consiste nullement à déterminer si l’acte litigieux servira dans un futur plus ou moins proche un intérêt ou un but de service public ni même l’exercice de la souveraineté de l’Etat étranger, mais en réalité à déterminer si l’acte est exercé directement dans le cadre du service public ou, depuis 2003, s’il participe directement à l’exercice de la souveraineté de l’Etat étranger, quelles que soient les intentions ultimes de ce dernier.

  361. 105. En effet, les juridictions françaises ont toujours écarté les arguments des Etats étrangers soutenant que l’intention de l’Etat étranger ou la cause des actes litigieux étaient in fine de servir un intérêt de service public lorsque l’acte litigieux ne participait pas directement au fonctionnement dudit service public puis, à partir de 2003, à l’exercice de la souveraineté de l’Etat étranger.

  362. 106. Ainsi :

  363. ‐ par un arrêt du 17 octobre 1973, la Cour de cassation a estimé que :« En passant en France un contrat de bail soumis à des règles s’imposant à toute personne se proposant d’exercer un commerce, l’Etat espagnol ne peut être considéré comme ayant fait un acte de puissance publique mettant en cause sa souveraineté, même si son intention, quʹil nʹavait pas fait préciser par une stipulation spéciale, était de faire exercer dans les lieux loués une activité qui a pris le caractère de service public. »Pièce n°54 : Cass. 17 janvier 1973, 71‐11793, Bull. n°24

  364. ‐ par un arrêt rendu le 18 novembre 1986, dans une affaire où la Banque Camerounaise de Développement (BCD) avait avalisé des lettres de change tirées sur le Cameroun pour le paiement de travaux de construction d’un hôpital, la Cour de cassation a jugé que « quelle que soit la cause des effets litigieux, l’aval donné par la BCD pour le compte de l’Etat camerounais (...) constitue un simple acte de commerce et ne relève en rien de la puissance publique » ;Pièce n°50 : Civ. 1ère, 18 novembre 1986, 85‐11404, Bull. n°267

  365. ‐ par un arrêt rendu le 24 octobre 2007, après que la Cour de cassation, par arrêt du 20 septembre 2006, avait cassé un précédent arrêt qui s’était fondé sur le rattachement de l’acte litigieux à la satisfaction d’un service public, la Cour d’appel de Versailles a jugé qu’un contrat de bail, ayant pour objet de permettre le logement d’un membre du personnel de l’ambassade de Guinée Bissau (en l’occurrence son chef de mission), « ne participe ni par sa nature ni par sa finalité à l’exercice de la souveraineté de l’Etat de Guinée Bissau », indépendamment du fait que le logement du personnel diplomatique sert à l’accomplissement de la mission diplomatique étrangère, mission de souveraineté par excellence ;

  366. ‐ 25 ‐

  367. Pièce n°34 : Civ. 1ère, 20 septembre 2006, n°05‐14199, Bull. n°411 Pièce n°55 : CA Versailles (14ème Ch.), 24 octobre 2007, RG n° 06/06949

  368. ‐ plus récemment encore, par un arrêt rendu le 5 février 2013, la Cour d’appel de Paris a également considéré que la location d’un appartement pour loger un agent consulaire sénégalais « ne constitue pas un acte de souveraineté », quand bien même ledit agent participe indiscutablement à l’exercice de la souveraineté du Sénégal ; le lien entre l’exercice de la souveraineté et le contrat litigieux n’était, encore une fois, pas direct.

  369. Pièce n°56 : CA Paris (4‐4), 5 février 2013, RG n° 11/000268

  370. 107. Alors que dans ces quatre affaires, les contrats avaient été conclus par les Etats étrangers dans un but ultime de service public, à caractère souverain (à savoir, respectivement, le développement du tourisme en Espagne par son consulat, la construction d’un hôpital au Cameroun, le logement du personnel diplomatique de la Guinée Bissau et du Sénégal), l’immunité de juridiction a été écartée au motif qu’en concluant lesdits contrats, chacun de ces Etats n’exerçait aucunement, à cette occasion, une mission de service public ou leur souveraineté.

  371. 108. La jurisprudence portant sur l’immunité de juridiction des Etats étrangers employant des salariés dans leur ambassade en France suit la même logique, puisque l’immunité n’est accordée que si le salarié ou l’acte litigieux (déclaration auprès d’organismes sociaux) participe lui‐même, c’est‐à‐dire directement, à l’exercice de la souveraineté dudit Etat. Les Etats étrangers ne bénéficient d’aucune immunité lorsque leurs salariés n’exercent pas de fonction diplomatique ou stratégique, c’est‐à‐dire qu’ils ne participent qu’indirectement à l’exercice de la souveraineté de l’Etat étranger employeur, ou lorsque l’acte est purement administratif.

  372. Pièce n°33 : Ch. mixte, 20 juin 2003, n°00‐45629, Bull. n°4 Pièce n°36 : Soc., 31 mai 2011, n°10‐24751 Pièce n°37 : Soc., 28 février 2012, n°11‐18952, Bull. n°77

  373. 109. En outre, depuis 1969, les rares arrêts ayant admis que l’acte litigieux avait été accompli dans « l’intérêt d’un service public » ont pris soin de relever que l’acte avait été conclu dans « l’exercice même d’un service public » et non dans le simple but futur d’un intérêt de service public.

  374. 110. Ainsi :

  375. ‐ par un arrêt rendu le 19 mai 1976, la Cour de cassation a reconnu qu’une attestation délivrée par la Banque du Japon, agissant ainsi dans le cadre de sa mission de contrôle des changes, déléguée par l’Etat japonais, « a été établie dans l’intérêt du service public » ;

  376. Pièce n°57 : Civ. 1ère, 19 mai 1976, n° 74‐11424, Bull. n°181

  377. ‐ 26 ‐

  378. ‐ par un arrêt rendu le 26 mai 1992, la Cour d’appel de Paris a estimé que le contrat portant sur des «travaux et prestationstendant à assurer la conservation de ses installations, qui ont le caractère d’ouvrages publics et qu’en conséquence, ils étaient commandés et réalisés dans l’intérêt du service public iranien de distribution et de commercialisation des matières premières » bénéficie de l’immunité de juridiction [dans cette affaire, le contrat litigieux portait sur la conservation même d’un ouvrage de service public et participait donc directement à l’accomplissement de ce service public] ;Pièce n°58 : CA Paris (1ère A), 26 mai 1992, RG n° 90‐21329

  379. ‐ par un arrêt rendu le 27 avril 2004, la Cour de cassation a jugé, à la suite d’un accident impliquant l’équipe de parachutistes de l’armée américaine (USAPT) dans le cadre d’un entrainement, après avoir relevé «qu’il s’agissait pour l’armée américaine d’entraîner des parachutistes et de promouvoir son recrutement», que «l’activité de l’équipe de parachutisme était accomplie dans le cadre de l’exécution d’une mission de service public de l’Etat étranger. »Pièce n°59 : Civ. 1ère, 24 avril 2004, n°01‐12442, Bull. n°114

  380. 111. D’ailleurs, il ne pourrait pas en être autrement, puisque, comme le rappelle la doctrine :

  381. « s’agissant du critère du but, le problème est bien sûr que si l’on commence à examiner les motifs profonds de l’Etat partie à la transaction, il est très probable que l’on finira par trouver une finalité politique quelconque. Toute activité, indépendamment de son caractère intrinsèquement commercial, sera toujours susceptible d’être rattachée à un aspect d’intérêt général ».

  382. Pièce n°51 : Schreuer, State immunity, some recent developements, p. 15, 1988, cité par Hafner, Kohen et Breau, « La pratique des Etats concernant les immunités des Etats », 2006, p. 33

  383. 112. On le comprend : le but ultime d’intérêt public poursuivi par l’Etat ne peut donc entrer en considération pour déterminer si un Etat étranger bénéficie de l’immunité de juridiction, puisque cela reviendrait en réalité à accorder à celui‐ci de facto une immunité de juridiction absolue, ce qui serait contraire à l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et du citoyen (ci‐après, la “CESDH”).

  384. 113. La jurisprudence européenne a ainsi rappelé que la limitation du droit d’accès à un tribunal sur le fondement du droit des immunités ne se concilie avec l’article 6§1 de la CESDH que si l’immunité tend à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

  385. Pièce n°39 : CEDH, 23 mars 2010, Cudak c. Lituanie, n°15869/02


  386. ‐ 27 ‐

  387. Or, il est constant que le fait d’accorder à un Etat une immunité de juridiction absolue est disproportionné par rapport au but légitime de protection du personnel diplomatique.

  388. Pièce n°40 : CEDH, 29 juin 2011, Sabeh el Leil c. France, n°34869/05

  389. Dans cette dernière affaire, la France a été condamnée pour avoir accueilli l’exception d’immunité invoquée par le Koweït sans déterminer en quoi cette immunité était admissible au regard de lʹarticle 6§1, c’est‐à‐dire sans indiquer si les requérants disposent dʹautres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention et si ces immunités répondent à un but légitime et sont proportionnées, pour ne pas vider le droit dʹaccès au juge de sa substance.

  390. ‐ Le but ultime d’intérêt public invoqué par la RUSSIE est inopérant

  391. 114. En l’espèce, la RUSSIE prétend que « le produit du 5% a[urait] poursuivi un but d’intérêt public, en étant affecté au paiement des dettes militaires de l’Empire de Russie résultant de la guerre russo‐japonaise de 1904‐1905 » et que « la Garantie a[urait] été accordée par le Gouvernement de l’Empire de Russie dans l’intérêt du service public de la défense russe, afin de développer le réseau ferroviaire russe qui constitue un élément essentiel du dispositif militaire et stratégique de la Russie. »

  392. 115. C’est donc le but ultime du 5% 1906 et de la Garantie qui est avancé par la RUSSIE pour espérer bénéficier de l’immunité de juridiction, sans qu’il soit tenu aucun compte de l’exercice par l’Etat russe de sa souveraineté lors de la conclusion des actes litigieux.

  393. 116. Or, quel que soit le but poursuivi par l’Etat russe in fine, force est de constater que lorsque ce dernier a conclu le 5% 1906 et la Garantie, il n’a exercé aucun attribut de sa souveraineté ni aucune mission de service public puisque ces contrats – obéissant aux règles de droit privé – n’ont pas été conclus dans le cadre de l’exercice de la guerre ou de la défense nationale (ni de toute autre mission souveraine) mais uniquement, si l’on en croit la RUSSIE elle‐même, en vue de financer, dans un second temps, des missions dont elle prétend qu’elles ont des buts d’intérêt public.

  394. 117. Dès lors que les contrats n’ont pas été conclus dans le cadre de l’exercice de la souveraineté de l’Etat russe et que le but ultime poursuivi par ce dernier n’est pas pertinent au regard de la jurisprudence française et du droit international coutumier, l’argumentation de la RUSSIE sera purement et simplement rejetée.

  395. ‐ Le but ultime d’intérêt public invoqué par la RUSSIE n’est pas l’exercice de sa souveraineté

  396. 118. En tout état de cause, même si l’on devait prendre en considération le but ultime des contrats conclus par la RUSSIE, force est de constater que lesdits contrats ne participent pas à l’exercice de la souveraineté de celle‐ci.

  397. ‐ 28 ‐

  398. 119. En effet, s’agissant du 5% 1906, selon la RUSSIE, il aurait été conclu en vue du « paiement des dettes militaires de l’Empire de Russie résultant de la guerre russo‐japonaise de 1904‐ 1905. »

  399. 120. Ainsi, aux dires même de la RUSSIE, le 5% 1906 n’a pas été conclu pour effectuer une guerre, activité souveraine, mais pour rembourser des emprunts conclus à l’occasion d’une guerre déjà terminée ; on peine à voir en quoi un tel emprunt aurait participé à l’exercice de la souveraineté de l’Etat russe, sauf à avoir une conception particulièrement extensive de la notion d’exercice de la souveraineté.

  400. 121. S’agissant de la Garantie, d’après la RUSSIE, elle a été conclue pour garantir le remboursement des emprunts contractés par une compagnie de chemin de fer, laquelle devait assurer la construction de voies ferrés, utiles à la Défense nationale.

  401. 122. Or, les juridictions françaises estiment depuis longtemps qu’une garantie accordée par un Etat, quel que soit le but poursuivi, « ne relève en rien de la puissance publique » (y compris avant 1969).

  402. Pièce n°49 : CA Rouen, 10 février 1965 Pièce n°50 : Civ. 1ère, 18 novembre 1986, n°85‐11404, Bull. n°267

  403. 123. A fortiori, une garantie accordée par un Etat étranger ne relève en rien de l’exercice de sa souveraineté (selon le critère adopté par la Cour de cassation en 2003).

  404. 124. De quelque point de vue que l’on se place, la RUSSIE ne peut valablement invoquer son immunité de juridiction à l’encontre de l’action exercée par les Demandeurs sur le fondement du 5% 1906 et de la Garantie.

  405. 125. Les autres fins de non‐recevoir ne seront pas davantage accueillies. 2. Les Demandeurs sont porteurs des Emprunts originaux

  406. 126. La RUSSIE conteste l’intérêt à agir des Demandeurs au motif que ces derniers « ne produisent que des copies des titres ». Elle réclame la preuve que « les Demandeurs sont en possession des originaux des emprunts ».

  407. 127. Cet argument illustre parfaitement la mauvaise foi constante de la RUSSIE dans le cadre de ce litige.

  408. 128. En effet, les titres dont se prévalent les Demandeurs sont des titres au porteur dont copie a été communiquée à la RUSSIE, ce qui n’est pas contesté, laquelle ne prétend pas qu’il s’agirait de faux.

  409. 129. Cette demande de preuve de la RUSSIE est dénuée de tout fondement dans la mesure où, s’agissant de titres au porteur, cela reviendrait à demander aux Demandeurs de certifier,


  410. ‐ 29 ‐

  411. pourquoi pas quotidiennement, qu’ils sont en possession des originaux des Emprunts, ce qui n’aurait aucun sens.

  412. 130. Afin de rassurer la RUSSIE, s’il en est vraiment besoin, il suffira au Tribunal de préciser, dans sa décision, que la condamnation de la RUSSIE au paiement des titres ne s’effectuera que contre remise de l’original du titre par le bénéficiaire de la condamnation.

  413. 131. En outre, dans un souci de transparence, les Demandeurs acceptent de permettre aux avocats constitués pour la RUSSIE de consulter les originaux des titres objets du présent litige, sur rendez‐vous au cabinet du conseil des Demandeurs, ce qui lui permettra de s’assurer que les Demandeurs sont effectivement porteurs des titres dont ils demandent le paiement.

  414. 132. L’intérêt à agir des Demandeurs, qui sont parfaitement en mesure de justifier de la propriété de leur titre en en produisant une copie et en autorisant les conseils de la RUSSIE à consulter les originaux sur rendez‐vous, n’est donc pas contestable.

  415. 3. L’Accord de 1997 est sans effet sur le droit d’action des Demandeurs

  416. 133. La RUSSIE tente encore d’échapper à ses obligations en invoquant deux accords qu’elle a conclus avec la France, à savoir le mémorandum d’accord conclu le 26 novembre 1996 (ci‐après, le “Mémorandum d’Accord“), et l’accord conclu le 27 mai 1997 (ci‐après l’“Accord”).

  417. Pièce n°60 : Accords franco‐russe des 26 novembre 1996 et 27 mai 1997

  418. 134. Elle prétend qu’aux termes de ces deux textes :

  419. ‐ d’une part, les droits des porteurs d’Emprunts seraient éteints : le Mémorandum d’Accord et l’Accord prévoiraient un mécanisme d’indemnisation des porteurs et en conséquence, ces derniers ne seraient pas recevables à faire valoir leur créance devant le Tribunal de céans ;

  420. ‐ d’autre part, elle ne serait pas responsable du paiement desdits Emprunts : le gouvernement français serait seul responsable de l’indemnisation des porteurs d’emprunts russes et la RUSSIE ne serait pas « responsable des dettes de l’Empire de Russie ».

  421. 135. Il n’en est rien.

  422. a. L’Accord est inopposable aux Demandeurs

  423. 136. Il est de jurisprudence constante qu’un Etat ne saurait restreindre les droits individuels de ses ressortissants par le biais de conventions internationales.


  424. ‐ 30 ‐

  425. 137. La Cour de cassation ainsi jugé que :

  426. « Lorsqu’il exerce la protection diplomatique de ses nationaux, l’Etat fait valoir le droit propre

  427. qu’il a de faire respecter, en la personne de ses ressortissants, le droit international.

  428. Dès lors, l’accord diplomatique par lequel le gouvernement français accepte la limitation de la dette d’un gouvernement étranger envers un ressortissant français ne prive pas ce dernier de l’exercice des voies de droit découlant du contrat passé par lui ».

  429. Pièce n°61 : Civ. 1ère, 14 juin 1977, n°75‐11602, Bull. 177

  430. Dans cette affaire, le gouvernement français avait conclu, en 1950, un accord avec le gouvernement yougoslave pour le paiement d’une certaine somme au titre de l’indemnisation d’une société française créancière de « bons » sur l’Etat Yougoslave, que ce dernier avait cessé de payer après l’invasion de son territoire par l’armée allemande en 1941.

  431. 138. A l’identique, en l’espèce, le Mémorandum d’Accord et l’Accord conclus entre la France et la RUSSIE n’ont en aucun cas pu atteindre les droits des porteurs d’Emprunts russes, qui n’y sont pas parties.

  432. 139. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé sans ambiguïté le Conseil d’Etat en énonçant le principe suivant :

  433. « Considérant, dʹune part, que lʹarticle 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de lʹhomme et des libertés fondamentales stipule que : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause dʹutilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. ; quʹil ressort des dispositions de lʹarticle 48 de la loi du 30 décembre 1999 qui a pour objet de mettre en œuvre les stipulations précitées de lʹaccord franco‐russe que lʹindemnisation consentie par la Fédération de Russie nʹa pas pour effet de rembourser les titres ni de priver les porteurs de la propriété de ces titres » (gras ajouté).

  434. Pièce n°62 : CE, 2 février 2004, n°229040

  435. 140. Cela a également été expressément reconnu par le gouvernement français le 28 janvier 2008, le Ministre de la Justice ayant rappelé que « les stipulations des accords de 1996 ‐ 1997 n’affectent en rien la validité des créances privées » et d’ajouter « il vous appartient dès lors de faire valoir vos droits devant le tribunal compétent ».

  436. Pièce n°63 : Lettre du Ministre de la Justice du 28 janvier 2008

  437. 141. Enfin, la Cour de cassation a jugé, à l’occasion d’une instance introduite en France par la RUSSIE pour voir reconnaître son droit de propriété sur un bien de l’Empire tsariste (voir infra, § 145 et s.), que le Mémorandum d’Accord et l’Accord n’ont aucun effet à l’égard de parties privées.

  438. ‐ 31 ‐

  439. Pièce n°64 : Civ. 1ère, 10 avril 2013, n°11‐21947, Bull. n°50

  440. 142. Les Demandeurs sont donc toujours titulaires de leur créance et sont parfaitement recevables à agir en paiement devant le Tribunal de céans.

  441. b. La RUSSIE est responsable des dettes de l’Empire russe

  442. 143. La RUSSIE indique, manifestement pour les besoins de sa cause, et sans aucun fondement juridique, que les créances invoquées par l’AFIPER ne lui seraient pas opposables dans la mesure où elle ne serait pas « par principe et sauf acceptation expresse de sa part, pas responsable des dettes de l’Empire de Russie » (Conclusions de la RUSSIE du 8 octobre 2013, p. 16).

  443. En d’autres termes, à l’en croire, la RUSSIE pourrait choisir à sa guise les éléments de patrimoine de l’Empire russe auquel elle ne conteste pourtant pas succéder.

  444. 144. Une telle thèse n’est pas sérieuse et est contraire à la fois à ce que soutenait la RUSSIE et aux décisions rendues par les juridictions françaises dans une autre affaire.

  445. 145. Par trois décisions récentes rendues dans le cadre d’un litige dans lequel la RUSSIE était partie pour avoir de sa propre initiative saisi les tribunaux français, le juge français a expressément reconnu que la RUSSIE, dans sa forme actuelle, était l’Etat successeur de l’Empire russe.

  446. 146. C’est en effet notamment à ce titre que la RUSSIE s’est vue reconnaître le statut d’unique et légitime propriétaire de la Cathédrale Saint Nicolas de Nice, du terrain sur lequel elle se trouve, des biens mobiliers qu’elle contient et des autres constructions se trouvant sur ce terrain, biens acquis et/ou financés par l’Empire tsariste.

  447. 147. Dans ce litige qui opposait l’Association Cultuelle Orthodoxe Russe de Nice à la RUSSIE, cette dernière soutenait sans réserve devant les juridictions françaises que « la Fédération de Russie est donc bien aujourd’hui aux droits et obligations de l’Empire russe » (gras ajouté). Pour arriver à cette conclusion, elle expliquait longuement qu’il existe une continuité d’Etats entre l’Empire russe et l’URSS puis entre l’URSS et la fédération de RUSSIE, en se fondant notamment sur l’accord d’Alma Ata du 21 décembre 1991 et sur le Traité d’entente conclu avec la France le 7 février 1992.

  448. Pièce n°65 : Conclusions de la RUSSIE devant le juge français dans le cadre du contentieux de la cathédrale orthodoxe de Nice, p.64

  449. 148. Le Tribunal de grande instance de Nice a fait droit à ses demandes en soulignant par un jugement du 20 janvier 2010

  450. « (...) que la Fédération de Russie est, en droit comme en fait, l’Etat continuateur depuis 1991 de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, qui avait lui‐même succédé à l’Etat

  451. ‐ 32 ‐

  452. Impérial Russe, conformément aux accords d’Alma Ata du 21 décembre 1991 et au Traité d’Entente du 7 février 1992 ».

  453. Pièce n°26 : TGI Nice, 20 janvier 2010, n°06/06437

  454. 149. Par arrêt rendu le 19 mai 2011, la Cour d’appel d’Aix‐en‐Provence n’a pu que confirmer cette réalité en refusant catégoriquement l’argument de l’Association Cultuelle orthodoxe russe de Nice, selon lequel la RUSSIE ne pourrait venir aux droits de l’Empire de RUSSIE, dès lors qu’il y aurait eu « une rupture juridique entre l’Empire de Russie et l’Union des Républiques socialistes soviétiques ».

  455. Pièce n°27 : CA Aix‐en‐Provence, 19 mai 2011, n°2011/01453

  456. 150. De fait, aucune contestation ne peut être raisonnablement retenue sur ce point dès lors que la succession d’Etats entre l’Empire russe et la RUSSIE est expressément reconnue par le gouvernement russe lui‐même.

  457. 151. Ainsi que le rappelle la Cour d’appel d’Aix‐en‐Provence, la RUSSIE s’inscrit précisément dans le cadre de sa succession à l’Empire russe – ainsi qu’à l’URSS et à la République socialiste fédérative de RUSSIE – pour ce qui concerne spécifiquement la question des créances financières (et réelles) antérieures au 9 mai 1945 qui la lient à la France.

  458. 152. C’est en effet le cadre juridique dans lequel a été volontairement intégré l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la RUSSIE sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945, signé à Paris le 27 mai 1997. Dès lors, la Cour d’appel d’Aix‐en‐Provence observe logiquement que :

  459. « [l]’Etat de Fédération de Russie a ainsi convenu d’un accord sur les revendications de l’Empire de Russie. La continuité juridique entre l’Empire de Russie et l’Etat de Fédération de Russie est admise par la Fédération de Russie et par la République française ».

  460. 153. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Cour de cassation qui, par arrêt du 10 avril 2013, a confirmé sans ambigüité ces décisions au motif que « l’Etat de la Fédération de Russie a finalement succédé à l’Empire russe, la continuité juridique étant admise par l’Etat de la Fédération de Russie et par la République française. »

  461. Pièce n°64 : Civ. 1ère, 10 avril 2013, n°11‐21947, Bull. n°50

  462. 154. Au‐delà de la question formelle de la succession d’Etats, le fait que la RUSSIE revendique des biens de l’Empire tsariste – et soit entendue en ses revendications – implique qu’elle doit également en assumer les dettes.

  463. 155. De deux choses l’une en effet : soit la RUSSIE est titulaire des biens de l’Empire tsariste, ce qui inclut le passif au même titre que l’actif, soit elle décide de renoncer aux dettes, auquel cas elle ne saurait détenir de droits sur les actifs.

  464. ‐ 33 ‐

  465. 156. En l’occurrence, la situation est claire : la RUSSIE doit assumer les dettes contractées par l’Empire tsariste.

  466. 157. En conséquence, la RUSSIE est bel et bien responsable du paiement du 5% 1906 et de la Garantie.

  467. 158. La fin de non‐recevoir soulevée par la RUSSIE tirée de l’existence de l’Accord doit donc être écartée.

  468. 4. Les droits des Demandeurs ne sont pas prescrits

  469. 159. La RUSSIE prétend encore que les droits des Demandeurs seraient prescrits. Au soutien de cette prétention, elle indique que « le droit russe [serait] applicable aux Emprunts », que celui‐ci prévoirait une prescription de trois ans des obligations à compter du jour où celui qui se prévaut d’une violation de ladite obligation en a eu connaissance, et qu’en conséquence les obligations contenues dans les actes litigieux seraient prescrites depuis 1921, soit trois ans après l’annulation de la dette russe par décret, ou, respectivement en 1956 et 1990, si l’on tient compte de la date de maturité des Emprunts.

  470. 160. Il sera d’abord démontré que la loi française est applicable aux Emprunts litigieux (a), puis que l’action de mise en œuvre de la Garantie n’est pas prescrite (b), enfin que la RUSSIE a renoncé à toute prescription qui serait acquise relativement à ses obligations liées aux Emprunts (c).

  471. a. La loi française est applicable aux Emprunts et donc à la Garantie

  472. 161. A titre liminaire, on rappellera qu’en droit international privé français, la loi applicable à la prescription d’une obligation est la loi qui régit cette obligation. Il convient donc de s’interroger sur la loi applicable au 5% 1906 et au 4,5% Nord‐Donetz.

  473. 162. En l’espèce, les règles de droit international privé français soumettent les Emprunts (et donc les règles de prescription) au droit français (i). Subsidiairement, si l’on devait considérer, pour les besoins de la discussion, que le droit international privé français désignerait le droit russe, nous verrons que ce dernier rejette sa compétence et renvoie en tout état de cause au droit français (ii).

  474. i. Le droit international privé français désigne la loi française

  475. 163. Les règles de droit international privé français sont fixées, en matière contractuelle, par le règlement Rome 1 pour les contrats conclus depuis le 17 décembre 2009, par la Convention de Rome pour les contrats conclus entre le 1er avril 1991 et le 17 décembre 2009 et par le droit commun pour les contrats conclus avant le 1er avril 1991.


  476. ‐ 34 ‐

  477. 164. En l’espèce, les contrats litigieux ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la Convention de Rome. Il y a donc lieu d’appliquer le droit commun, qui conduit nécessairement à l’application de la loi française.

  478. ‐ L’application du droit commun avant l’entrée en vigueur de la Convention de Rome et du Règlement Rome 1

  479. 165. Sous l’empire du droit commun avant l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, le juge français procédait, lorsque les parties n’avaient pas choisi la loi applicable à leur contrat, à une localisation à la fois subjective et objective du contrat, selon la méthode dite du “faisceau d’indices” ; il recherchait, d’une part, des indices de la volonté des parties de soumettre leur contrat à une loi en particulier (localisation subjective), et d’autre part, des éléments révélateurs du « centre de gravité du contrat » (localisation objective).

  480. Ainsi, la Cour de cassation a d’abord indiqué que :« il appartient aux juges du fond de rechercher d’après l’économie de la convention et lescirconstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants ».Pièce n°66 : Civ .1ère, 6 juillet 1959, Fourrures Renel

  481. Par la suite, elle a affiné son critère en soulignant que les juges du fond doivent :

  482. ‐ « appréci[er] souverainement les circonstances qui déterminent la localisation d’un contratd’où ils déduisent la loi qui lui est applicable » ;Pièce n°67 : Civ. 1ère, 29 juin 1971, n°69‐14179, Bull. n°218

  483. ‐ « rechercher l’ensemble des circonstances de nature à déterminer la localisation du contrat » ; Pièce n°68 : Civ. 1ère, 7 juin 1977, n°75‐15058, Bull. n°267

  484. ‐ « si la localisation du contrat dépend de la volonté des parties, [...] après avoir interprété souverainement leur commune intention quant à cette localisation, [...] déduire de celle‐ci la loi applicable au contrat litigieux ».Pièce n°69 : Civ. 1ère, 25 mars 1980, n°78‐15862, Bull. n°101

  485. 168. En matière d’emprunt, il est de jurisprudence constante que l’élément déterminant de localisation du contrat est le lieu de sa conclusion et/ou de la mise à disposition des fonds.

  486. Pièce n°67 : Civ. 1ère, 29 juin 1971, n°69‐14179, Bull. n°218 Pièce n°70 : CA Douai, 4 juillet 2002, n°00/02059 Pièce n°71 : CA Grenoble, 11 octobre 2011, n°11‐01362

  487. ‐ 35 ‐

  488. 169. En l’espèce, aussi bien le 5% 1906 que le 4,5% Nord‐Donetz sont localisés en France dès lors que :

  489. ‐ les Emprunts ont été conclus en France ;

  490. ‐ les Emprunts sont rédigés en langue française ;

  491. ‐ les Emprunts sont libellés en francs ;

  492. ‐ les prêteurs sont français et résident en France ;

  493. ‐ les fonds ont été remis par les souscripteurs/prêteurs en France et en francs‐or à des établissements bancaires français (listés dans les titres remis aux Souscripteurs) ;

  494. ‐ le paiement des coupons devait s’effectuer semestriellement, sur toute la durée du prêt (à savoir pendant plus de 50 ans) en France et en francs‐or auprès de ces mêmes établissements français ;

  495. ‐ les remboursements devaient s’effectuer en France et en francs‐or auprès de ces mêmes établissements français (« sur les mêmes places et dans les mêmes monnaies que le paiement des coupons »).

  496. 170. A cet égard, il n’existe aucun élément sérieux qui pourrait laisser penser que les épargnants français, dont beaucoup venaient des campagnes françaises, auraient eu l’intention de soumettre les Emprunts à un droit étranger ni même de réclamer le paiement de leur créance sur un territoire ou dans une monnaie étrangère.

  497. 171. La circonstance que les Emprunts aient pu également être émis dans d’autres pays, dans la monnaie desdits pays, est donc sans incidence en l’espèce.

  498. 172. Au demeurant, en matière d’emprunts internationaux, l’Etat accepte, pour des raisons évidentes, l’application d’une autre loi que la sienne8. L’Etat aurait autrement beau jeu de modifier sa loi afin d’échapper à l’exécution de ses obligations.

  499. 173. Ainsi, aussi bien les circonstances que l’intention des parties conduisent immanquablement à l’application de la loi française.

  500. 174. Cette solution est d’ailleurs confirmée par le critère qui sera adopté ultérieurement par la Convention de Rome et le Règlement Rome 1, et qui est le critère du droit positif.

  501. 8 TCFDIP 1988‐89.77, E. Gaillard, « Aspects de droit international privé de la restructuration de la dette privée des Etats » [Pièce n°72]

  502. ‐ 36 ‐

  503. ‐ L’application du droit commun à la lumière de la Convention de Rome et du Règlement Rome 1

  504. 175. Le critère de la « localisation du contrat » a été fortement critiqué par la doctrine comme laissant la place à une trop grande incertitude, dans la mesure où il n’y avait aucune règle de conflit prédéterminée et qu’il appartenait au juge d’apprécier in fine la loi applicable en fonctions d’un cumul d’indices plus ou moins pertinents, et en tous cas variables d’une instance à l’autre. Or, en matière contractuelle, il est nécessaire d’assurer une certaine prévisibilité.

  505. 176. Aussi, la Convention de Rome, et plus tard le Règlement Rome 1, ont tous deux choisis d’abandonner le critère retenu par la jurisprudence française et ont décidé d’appliquer un nouveau critère plus systématique, plus objectif.

  506. 177. Ces deux textes renvoient en effet, à défaut de choix, à « la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique à sa résidence habituelle ».

  507. 178. Or, on sait que la prestation caractéristique est celle pour laquelle le paiement est dû, c’est‐à‐dire : en matière de contrat de vente, la loi du vendeur ; en matière de prestation de service, la loi du prestataire ; et en matière de contrat de prêt, la loi du prêteur. Dans ce dernier cas, c’est en effet lui qui met la chose (les fonds) à disposition, l’emprunteur payant, lui, le prix (le taux d’intérêt).

  508. 179. Dès lors, l’application du droit commun à la lumière du critère dégagé par la Convention de Rome et le Règlement Rome 1 conduira inévitablement le Tribunal à désigner la loi française, comme loi des prêteurs.

  509. C’est d’ailleurs la solution retenue par la jurisprudence récente en matière de prêt.Pièce n°73 : CA Colmar, 20 novembre 2002, n°01/01145

  510. En conséquence, le 5% 1906 et le 4,5% Nord‐Donetz, et donc la Garantie, sont soumis

  511. au droit français.

  512. ii. Le droit international privé russe renvoie à la loi française

  513. 182. Au demeurant, à supposer même, pour les seuls besoins du raisonnement, que le droit international privé français désignerait le droit russe, on ne peut que constater que le droit international privé russe lui‐même renvoie à l’application de la loi française.

  514. Cette étape a été purement et simplement ignorée par la RUSSIE.

  515. L’on sait que la Cour de cassation impose au juge, lorsqu’il désigne un droit étranger

  516. en application du droit international privé français, de prendre en considération, au besoin d’office, le droit international privé étranger.

  517. ‐ 37 ‐

  518. Pièce n°74 : Civ. 1er, 21 mars 2000, n°98‐15650, Bull. n°96

  519. 185. En l’espèce, en supposant que le droit international privé français désigne le droit russe, il convient donc d’appliquer, au préalable, le droit international privé russe.

  520. 186. Or, conformément à l’article 1211.1 du Code civil russe, à défaut de choix de la loi applicable au contrat, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ou son activité principale.

  521. L’article 1211.2 précise que :

  522. « Est considérée comme la partie qui fournit la prestation caractéristique : 1) le vendeur – pour le contrat de vente ;

  523. 2) le donateur – pour le contrat de donation ;

  524. 3) le bailleur – pour le contrat du bail;

  525. 4) le prêteur – pour le contrat de prêt à usage ».

  526. Pièce n°75 : Extrait du Code civil russe

  527. 187. Ainsi, selon le droit international privé russe, la loi applicable aux Emprunts est la loi du prêteur, donc la loi française.

  528. 188. En pareille situation, le juge français a l’obligation d’accepter le renvoi que lui fait le droit étranger et, partant, d’appliquer le droit français.

  529. Pièce n°76 : Civ., 24 juin 1976, GADIP n°7

  530. 189. Le droit français est donc applicable aux Emprunts, ne serait‐ce que par renvoi du droit international privé russe.

  531. 190. De quelque point de vue que l’on se place, le Tribunal ne pourra que juger que le droit français est applicable au 5% 1906 et au 4,5% Nord‐Donetz, et donc à la Garantie, et que ce sont donc les règles de prescription françaises qui trouvent à s’appliquer.

  532. b. La prescription de la Garantie n’est pas acquise

  533. 191. En matière contractuelle, l’ancien article 2262 du Code civil prévoyait que les actions se prescrivaient par 30 ans, délai qui a été réduit à 5 ans par l’article 2224 du Code civil, introduit par une loi du 17 juin 2008.

  534. Or, conformément à l’article 2222 alinéa 2 du Code civil :

  535. « En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de lʹentrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».

  536. ‐ 38 ‐

  537. 192. En l’espèce, le 4,5% Nord‐Donetz prévoit que « à partir du jour de leur émission jusqu’au terme de la concession, est accordée aux obligations la garantie absolue du Gouvernement Impérial de Russie pour le service de l’intérêt et de l’amortissement en 81 années à dater de l’ouverture au trafic des lignes pour lesquelles lesdites obligations sont émises. »

  538. 193. Si l’on se fie aux affirmations de la RUSSIE, « le réseau a fonctionné au plus tard à partir de 1911‐1912 » (p. 14 des conclusions de la RUSSIE signifiées le 8 octobre 2013). Le remboursement du principal devait donc intervenir en 1992‐1993.

  539. 194. A cette date, la prescription du droit d’agir en justice était de 30 ans, les souscripteurs du 4,5% Nord‐Donetz pouvaient donc agir contre la RUSSIE, en sa qualité de garant, pendant 30 ans à compter de cette date (soit jusqu’en 2022‐2023), délai ramené à cinq ans en 2008, soit jusqu’en juin 2013.

  540. 195. Il n’existe aucune raison de faire courir le délai de prescription au jour où du décret du 21 janvier 1918 puisque la violation des obligations contractuelles de paiement des intérêts n’est intervenue que progressivement, tous les semestres, à compter de cette date et la violation de l’obligation de remboursement du principal n’est intervenue qu’en 1992‐1993.

  541. 196. La présente instance ayant été introduite le 9 octobre 2012, soit pendant le délai d’action, il convient de constater que l’action des Demandeurs n’est pas prescrite.

  542. c. La RUSSIE a renoncé à la prescription

  543. 197. En tout état de cause, si l’on devait considérer que les obligations de la RUSSIE relatives au 5% 1906 et à la Garantie étaient prescrites au jour de l’introduction de la présente instance, le Tribunal constatera néanmoins que la RUSSIE a renoncé à cette prescription.

  544. Aux termes de l’article 2251 du Code civil :« La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription ».

  545. Par ailleurs, selon la Cour de cassation, « la renonciation à une prescription acquise ne fait

  546. pas courir un nouveau délai de prescription ».

  547. Pièce n°77 : Civ. 2ème, 15 février 2007, n°05‐21362

  548. 200. Sur le fondement de ce texte, les juridictions françaises considèrent que le fait de formuler une offre de paiement vaut renonciation à se prévaloir d’une prescription pourtant acquise.

  549. Pièce n°78 : Civ. 2ème, 26 avril 2001, n°99‐17962

  550. ‐ 39 ‐

  551. 201. Cette renonciation peut également résulter d’un simple courrier par lequel une partie accepte, sans pour autant reconnaître sa responsabilité, d’effectuer un paiement.

  552. Pièce n°79 : Com, 7 juillet 2009, n°08‐13499

  553. 202. En l’espèce, l’article III de l’Accord, dont se prévaut la RUSSIE elle‐même, prévoit que :

  554. « En qualité de règlement complet et définitif de toutes les créances financières et réciproques apparues antérieurement au 9 mai 1945, la Partie russe verse à la Partie française, et la Parite française convient d’accepter, une somme d’un montant de quatre cents millions de dollars des Etats‐Unis. » (gras ajouté).

  555. Pièce n°60 : Accords franco‐russe des 26 novembre 1996 et 27 mai 1997

  556. Conformément à l’article 1 A, les créances dont il est question sont celles :

  557. « relatives à tous emprunts et obligations émis ou garantis avant le 7 novembre 1917 par le Gouvernement de l’Empire de Russie ou par des autorités qui administraient une partie quelconque de l’Empire de Russie, et appartenant au Gouvernement de la République française ou à des personnes physiques ou morales françaises » (gras ajouté).

  558. 203. En acceptant de régler entre les mains de l’Etat français une partie des sommes dont elle reste redevable au titre des Emprunts, la RUSSIE a nécessairement renoncé à la prescription de ses obligations découlant desdits Emprunts.

  559. 204. Dans ces conditions, le Tribunal ne pourra que juger que la RUSSIE a renoncé à l’application de la prescription.

  560. En conclusion, aucune des fins de non‐recevoir invoquées par la RUSSIE ne peut être accueillie ; il y a donc lieu de juger recevable l’action des Demandeurs.

  561. D. LESDEMANDESSONTBIENFONDEES

  562. 205. Pour finir, la RUSSIE ne craint pas de soutenir que « les droits des Demandeurs n’existent plus depuis le décret soviétique du 21 janvier 1918 annulant les Emprunts » et que « la garantie du Gouvernement de l’Empire de Russie pour l’émission du 4,5 % Nord Donetz 1908 a expiré ».

  563. 206. Ce n’est pas sérieux.

  564. ‐ 40 ‐

  565. 1. Le décret russe d’annulation unilatérale des Emprunts ne saurait permettre à la RUSSIE d’échapper à ses obligations contractuelles

  566. 207. La RUSSIE prétend que le droit russe serait applicable aux Emprunts et qu’en raison du décret russe d’annulation des Emprunts du 21 janvier 1918, les droits de créance des Demandeurs sont « inexistants et ne peuvent valablement fonder une demande en paiement ».

  567. 208. Or, il a été rappelé supra que seul le droit français est applicable aux Emprunts litigieux.

  568. 209. En conséquence, il ne peut être tenu aucun compte du décret russe du 21 janvier 1918, invoqué à tort par la RUSSIE, lequel ne saurait avoir un quelconque effet sur la validité des Emprunts en droit français.

  569. Il s’agit, tout au plus, d’une déclaration de refus de paiement, sur laquelle la RUSSIE est manifestement revenue à l’occasion de la conclusion de l’Accord aux termes duquel elle a accepté de payer une partie des sommes dues au titre des Emprunts Russes.

  570. 210. Les droits des Demandeurs ne sont donc aucunement affectés par le décret russe du 21 janvier 1918.

  571. 211. D’ailleurs, à supposer même, pour les seuls besoins de la discussion, que les dispositions de droit russe invoquées trouvent à s’appliquer en droit français, la RUSSIE demeurerait néanmoins tenue de rembourser les sommes qu’elle a perçues avec intérêts dès lors que « la nullité emporte lʹeffacement rétroactif du contrat et a pour effet de remettre les parties dans la situation initiale ».

  572. Pièce n°80 : Civ. 3ème, 23 novembre 2011, n°10‐23928, Bull. n°198

  573. 212. Les droits des Demandeurs ne sont donc pas contestables.

  574. 2. La Garantie couvre tous les défauts de paiements intervenus avant le terme de

  575. la concession, soit au début des années 1990

  576. 213. La RUSSIE prétend encore que la Garantie n’aurait été valable que « jusqu’au terme de la concession ». A cet égard, elle indique que « la concession accordée à la Compagnie du chemin de fer du Nord Donetz aurait expiré au plus tard au début des années 1990 ».

  577. 214. L’argumentation de la RUSSIE ignore purement et simplement le droit applicable aux obligations de garantie.

  578. 215. Lorsqu’une personne se porte garante des dettes d’un débiteur principal pour une période déterminée, elle prend l’engagement de couvrir tous les défauts de paiement intervenus au cours de cette période. Sauf stipulation expresse contraire, le créancier n’est pas contraint d’agir contre le garant pendant cette période uniquement (il ne s’agit que de la période dite de couverture). L’action, quant à elle, peut être intentée postérieurement à la


  579. ‐ 41 ‐

  580. période de couverture, pourvu que l’action porte sur une dette restée impayée par le débiteur principal pendant la période de couverture.

  581. 216. Ainsi, comme le rappelle la Cour de cassation, le fait que la caution soit appelée postérieurement à la date limite de son engagement « est sans incidence sur lʹobligation de la caution [...] dès lors quʹil nʹest pas contesté que la dette du débiteur principal était échue auparavant ».

  582. Pièce n°81 : Com, 28 janvier 1992, 90‐14919, Bull. n°35

  583. 217. De la même manière, la Cour d’appel qui refuse de condamner une caution au paiement des dettes du débiteur au motif que « la clause relative à la limitation dans le temps de la garantie ne permet pas au bénéficiaire de la caution dʹengager une poursuite [après cette date] », dénature nécessairement « le sens clair et précis de cette clause dont le seul effet était de limiter la garantie de la caution au temps convenu par les parties et non dʹimposer au créancier dʹengager contre elle ses poursuites dans ce même délai » (gras ajouté).

  584. Pièce n°82 : Civ. 1ère, 19 juin 2001, n°98‐16183, Bull. n°179

  585. 218. Dans ces conditions, ce n’est pas la Garantie qui a expiré au début des années 1990, mais uniquement la période de couverture par la RUSSIE.

  586. 219. Les Demandeurs peuvent donc valablement agir sur le fondement de l’Emprunt et de la Garantie.

  587. 220. Il résulte de ce qui précède que la RUSSIE doit être condamnée au paiement la contrevaleur en euros des titres dont les Demandeurs sont porteurs.

  588. E. LA RUSSIE DOIT SUPPORTER LES FRAIS DE PROCEDURE

  589. 221. Le refus depuis près d’un siècle par le Gouvernement de la RUSSIE et par ses prédécesseurs de rembourser les porteurs d’emprunts russes tels que les Demandeurs a contraint ces derniers à saisir le Tribunal de céans afin de voir condamner la RUSSIE au règlement de la somme en principal et intérêts des titres qu’elle détient dans le cadre de ces souscriptions.

  590. 222. Il apparaîtrait profondément inéquitable de maintenir à la charge des Demandeurs les frais irrépétibles qu’ils ont engagés à cette occasion pour faire valoir leurs droits, frais dont l’importance est en rapport avec l’extrême complexité factuelle et juridique du dossier.

  591. 223. Chacun des Demandeurs est donc particulièrement bien fondé à se voir allouer la somme de 7 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

  592. ‐ 42 ‐

  593. PAR CES MOTIFS

  594. Vu les articles 1134, 1892 et suivants, 1907 et 1154 du Code civil,

  595. RECEVOIR les Demandeurs en leurs demandes, Et les y déclarant bien fondés,

  596. CONDAMNER la RUSSIE, Etat successeur de l’Empire russe, au paiement à chacun des Demandeurs de la contrevaleur en euros au jour du paiement des montants suivants :

  597. Titre type « Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt de l’Etat russe à 5% or ‐ Obligation de 187 roubles 50 kopeks ‐ 1906 » :

  598. ‐ Principal : 25 napoléons

  599. ‐ Intérêts : 5% (simples jusqu’à l’assignation, capitalisés ensuite) à compter du

  600. 1er janvier 1919 jusqu’à complet paiement

  601. Titre type « Compagnie de chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt‐Obligations à 41⁄2 % ‐

  602. Obligation de 187,5 roubles ‐ 1908 » :

  603. ‐ Principal : 25 napoléons

  604. ‐ Intérêts : 4,5% (simples jusqu’à l’assignation, capitalisés ensuite) à compter du1er janvier 1919 jusqu’à complet paiementVu l’article 1154 du Code civil,DIRE qu’à compter de la date de l’assignation, les intérêts des sommes dues se capitaliseront annuellement pour porter à leur tour intérêt.DEBOUTER la RUSSIE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions. ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.CONDAMNER la RUSSIE à payer à chacun des Demandeurs la somme de 7 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.CONDAMNER la RUSSIE aux entiers dépens. ______

‐ 43 ‐

BORDEREAU DE PIECES

Sur la présentation des Demandeurs et de leurs titres

Pièce n°1 – Pièce n°2 –

Pièce n°3 – Pièce n°4 – Pièce n°5 – Pièce n°6 – Pièce n°7 – Pièce n°8 – Pièce n°9 – Pièce n°10 – Pièce n°11 – Pièce n°12 – Pièce n°13 – Pièce n°14 –

Statuts de l’AFIPER ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, AFIPER, série 177, n°02686 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, F. Arnault, série 44, n°06219 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, M. Cornaire, série 271, n°01335 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, H. Fanara‐Ebel, série 36, n°00551 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, M. Grosset, série 89, n°01360 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, Ch. Jacob, série 22, n°07729 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, Ch. Magnino, série 15, n°08878 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, P. Nègre, série 331, n°00279 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, J.Y. Martin, série 202, n°09119 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, L.N. Pernot, série 152, n°08384 ;

Gouvernement impérial de Russie ‐ Emprunt 5% 1906, E. Sanitas, série 107, n°04700

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, AFIPER, n°383306 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, F. Arnault, n°095756 ;

‐ 44 ‐

Pièce n°15 –

Pièce n°16 –

Pièce n°17 –

Pièce n°18 –

Pièce n°19 –

Pièce n°20 –

Pièce n°21 –

Pièce n°22 –

Pièce n°23 –

Pièce n°24 – Piècen°25 –

Pièce n°26 – Pièce n°27 –

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, M. Cornaire, n°322654 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, H. Fanara‐ Ebel, n°150855 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, M. Grosset, n°383307 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, Ch. Jacob, n°215968 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, Ch. Magnino, n°262430 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, P. Nègre, n°095753 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, J.Y. Martin, n°224970 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 %, 1908, LN. Pernot, n°068318 ;

Cie du chemin de fer du Nord‐Donetz ‐ Emprunt à 4 1⁄2 % ‐ 1908, Eric Sanitas, n°242527 ;

Anteeo, Etude sur les valeurs d’un emprunt russe (5% 1906), 7 juillet 2012 ;

Anteeo, Etude sur les valeurs d’un emprunt russe (4,5% Nord‐Donetz), 7 juillet 2012 ;

TGI Nice du 20 janvier 2010, n°06/06437 ;

CA Aix‐en‐Provence, 19 mai 2011, n°2011/01453 ;

Sur la régularité de l’assignation

Pièce n°28 Mandats d’agir donnés à l’AFIPER le 1er septembre 2012 ;

Sur la notion d’immunité de juridiction

Pièce n°29 : Req., 19 février 1929, URSS c/ Association France‐Export ;

‐ 45 ‐

Pièce n°30 :

Pièce n°31 : Pièce n°32 :

Pièce n°33 : Pièce n°34 : Pièce n°35 : Pièce n°36 : Pièce n°37 : Pièce n°38 :

Pièce n°39 : Pièce n°40 : Pièce n°41 :

Pièce n°42 : Pièce n°43 :

S. El Sawah, Les immunités des Etats et des organisations internationales, 2012, Larcier 2012 ;

D. Bureau & H. Muir Watt, Droit international privé, 2010 ;

Civ. 1ère, 25 février 1969, Sté Levant Express Transport c/ Chemin de fer du

gouvernement iranien ;

Ch. mixte, 20 juin 2003, n°00‐45.629, Bull. n°4 ;

Civ. 1ère, 20 septembre 2006, n°05‐14199, Bull. n°411 ;

Civ. 1ère, 19 novembre 2008, n°07‐10570, Bull. n°266 ;

Soc., 31 mai 2011, n°10‐24751 ;

Soc., 28 février 2012, n°11‐18952, Bull. n°77 ;

Civ. 1ère, 28 mars 2013, n°11‐10450 ; n°11‐13323 ; n°10‐25938, Bull. n°1031, 1032 et 1033 ;

CEDH, 23 mars 2010, Cudak c. Lituanie, n°15869/02 ; CEDH, 29 juin 2011, Sabeh el Leil c. France, n°34869/05 ;

G. Hafner et L. Lange, La Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, AFDI 2004 ;

Projet de loi de ratification de la Convention de 2004 devant le Sénat ;

Convention des Nations ‐Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004 ;

Sur le régime de l’immunité de juridiction

Pièce n°44 : Pièce n°45 : Pièce n°46 : Pièce n°47 : Pièce n°48 :

Civ. 1ère, 9 octobre 2001, n°00‐14564, Bull. n°249 ;

CEDH, 21 novembre 2001, Al‐Adsani c. Royaume‐Uni, n° 35763/97 ; CIJ, 3 février 2012, Allemagne c/ Italie, n°143 ;

Civ. 1ère, 9 mars 2011, n°10‐10044, Bull. n°54 ;

Civ. 2ème, 30 avril 2003, n°00‐14333, Bull. n°123 ;

‐ 46 ‐

Sur le caractère commercial des Emprunts et de la Garantie

Pièce n°49 : Pièce n°50 : Pièce n°51 :

Pièce n°52 : Pièce n°53 : Pièce n°54 : Pièce n°55 : Pièce n°56 : Pièce n°57 : Pièce n°58 : Pièce n°59 :

CA Rouen, 10 février 1965, Bauer Marchal c. Ministre des Finances de Turquie ; Civ. 1ère, 18 novembre 1986, n°85‐11404, Bull. n°267 ;

G. Hafner, M. Kohen et S. Bureau, La pratique des Etats concernant les immunités des Etats, 2006 ;

Civ. 1ère, 18 février 1992, n°90‐18826, Bull. n°59 ; CE, 6 décembre 1989, Req. n° 74140 ;

Civ. 1ère, 17 janvier 1973, n°71‐11793, Bull. n°24 ; CA Versailles (14ème), 24 octobre 2007, n°06/06949 ; CA Paris (4‐4), 5 février 2013, n°11/000268 ;

Civ. 1ère, 19 mai 1976, n° 74‐11424, Bull. n°181 ; CA Paris (1ère A), 26 mai 1992, RG n° 90‐21329 ; Civ. 1ère, 24 avril 2004, n°01‐12442, Bull. n°114 ;

Sur le Traité franco‐russe de 1997

Pièce n°60 : Pièce n°61 : Pièce n°62 : Pièce n°63 : Pièce n°64 : Pièce n°65 :

Accords franco‐russe des 26 novembre 1996 et 27 mai 1997 ; Civ. 1ère, 14 juin 1977, n°75‐11602, Bull. 177 ;

CE, 2 février 2004, n°229040 ;

Lettre du Ministre de la Justice du 28 janvier 2008 ;

Civ. 1ère, 10 avril 2013, n°11‐21947, Bull. n°50 ;

Conclusions de la FEDERATION DE RUSSIE devant le juge français dans le cadre du contentieux de la cathédrale orthodoxe de Nice ;

Sur la loi applicable aux Emprunts et à la Garantie

Pièce n°66 : Civ. 1ère, 6 juillet 1959, Fourrures Renel ;

Pièce n°67 : Civ. 1ère, 29 juin 1971, n°69‐14179, Bull. n°218 ;

‐ 47 ‐

Pièce n°68 : Pièce n°69 : Pièce n°70 : Pièce n°71 : Pièce n°72 :

Pièce n°73 : Pièce n°74 : Pièce n°75 :

Pièce n°76 :

Civ. 1ère, 7 juin 1977, n°75‐15058, Bull. n°267 ; Civ. 1ère, 25 mars 1980, n°78‐15862, Bull. n°101 ; CA Douai, 4 juillet 2002, n°00/02059 ;

CA Grenoble, 11 octobre 2011, n°11‐01362 ;

E. Gaillard, Aspects de droit international privé de la restructuration de la dette privée des Etats, TCFDIP 1988‐89.77 ;

CA Colmar, 20 novembre 2002, n°01/01145 ; Civ. 1ère, 21 mars 2000, n°98‐15650, Bull. n°96 ;

Extrait du Code civil russe, tel que modifié par la Loi fédérale n° N 260‐FZ du 30 septembre 2013, disponible à www.consultant.ru ;

Civ., 24 juin 1976, GADIP n°7 ;

Sur l’absence de prescription

Pièce n°77 : Pièce n°78 : Pièce n°79 :

Civ. 2ème, 15 février 2007, n°05‐21362 ; Civ. 2ème, 26 avril 2001, n°99‐17962 ; Com, 7 juillet 2009, n°08‐13499 ;

Sur le bien‐fondé des demandes

Pièce n°80 : Pièce n°81 : Pièce n°82 :

Civ. 3ème, 23 novembre 2011, n°10‐23928, Bull. n°198 ; Com, 28 janvier 1992, n°90‐14919, Bull. n°35 ;

Civ. 1ère, 19 juin 2001, n°98‐16183, Bull. n°179.